Les Messagères du Commodore
« A ce monde de sa création, Hubbard ajouta bientôt un corps d’élite, les « Messagers du Commodore », composé d’adolescentes recrutées parmi les enfants des scientologues. Ils avaient à l’origine pour fonctions, anodines en apparence, de relayer les instructions orales du Commodore à l’équipage et aux élèves. Fillettes à peine pubères pour la plupart, ces Messagères n’allaient pas tarder à abuser du pouvoir que leur conférait ce statut d’autre moi de Hubbard. Dans leurs coquets uniformes bleu marine galonnés d’or, elles devaient répéter ses messages en l’imitant servilement ; ainsi, s’il était de mauvaise humeur, elles devaient jeter au visage du destinataire les mêmes insultes et sur le même ton. Nul n’osait contredire une Messagère ni désobéir à ses ordres. Investies de l’autorité du Commodore, elles devinrent de véritables petits monstres unanimement redoutées.
« A partir de 70, les Messagères se mirent jour et nuit au service de Hubbard. Quand il dormait, deux d’entre elles montaient la garde à la porte de sa cabine en attendant le signal de son réveil et deux autres passaient la journée devant la porte de son bureau.
« Elles l’escortaient dans ses promenades sur le pont, l’une portant ses Kool, l’autre un cendrier. Elles enregistraient dans un journal les activités quotidiennes du Commodore et ses messages transcrits mot à mot. Soucieuses de se montrer dignes de cet insigne honneur, elles rivalisaient d’ardeur pour plaire au Commodore, en lui allumant ses cigarettes, par exemple, ou en époussetant ses feuilles de papier, avec d’autant plus de zèle que ces initiatives leur valaient bons points et récompenses.
« Doreen Smith, jolie blondinette de douze ans, arriva aux Açores en septembre 1970 pour embarquer sur l’Apollo. Née dans une famille de scientologues, rêvant depuis toujours d’approcher le Commodore, elle dut commencer par faire ses preuves en lavant la vaisselle avant de passer son examen d’entrée devant un jury de Messagères de quatorze ans. Ce fut le plus beau jour de sa vie : « Je devenais enfin ce dont j’avais toujours rêvé. LRH était le héros de mon enfance… » Car nul à bord, Mary Sue moins que tout autre, n’ignorait que le Commodore préférait son escadron de jeunes et jolies Messagères à ses propres enfants […]
« Les soins journaliers incombaient aux Messagères, pour qui cela devint bientôt un calvaire : « Jusqu’à son accident de moto, se souvient Jill Goodman, il était charmant et sympathique. Après, il est devenu un emmerdeur de la pire espèce […] On ne savait jamais à quoi s’attendre quand on entrait chez lui. » « Il n’a pas bougé de ce maudit fauteuil de velours rouge pendant trois mois, renchérit Doreen Smith. Il dormait par tranches de trois quarts d’heure, le reste du temps il braillait sans arrêt. Nous ne savions jamais comment le satisfaire, nous en perdions le sommeil. J’étais la seule, disait-il, à savoir disposer ses coussins, une autre son tabouret, une troisième ceci, une quatrième cela, de sorte que chaque fois qu’il ouvrait les yeux nous devions courir le dorloter pendant qu’il nous couvrait d’injures ordurières. Les plus aguerries en pleuraient […] Ce fauteuil rouge était devenu pour nous le symbole de ce qu’il y a de pire dans la nature humaine. Nous aurions voulu le réduire en miettes et le jeter par-dessus bord. »
« Tandis que Hubbard écumait et jurait dans son fauteuil rouge en imputant les mobiles les plus sinistres aux erreurs les plus vénielles, il édicta une nouvelle règle qui allait rendre les conditions de vie à bord de l’Apollo dignes de l’univers concentrationnaire de George Orwell.
« Persuadé que chacun sabotait ses instructions, il institua une section disciplinaire baptisée « Rehabilitation Project Force » ou RPF. Chaque personne soupçonnée de ne pas exécuter ses ordres avec assez de diligence ou de bonne volonté était condamnée à un stage plus ou moins long au RPF, qui prit bientôt d’imposantes proportions. Ses pensionnaires, vêtus de salopettes noires, n’avaient pas le droit de se mêler aux autres et couchaient dans une cale sans air et sans lumière sur des matelas crasseux destinés à être jetés. Ils dormaient sept heures par nuit, ne bénéficiaient d’aucune pause pendant la journée et mangeaient les restes de l’équipage.
« La situation s’est nettement dégradée à partir de moment-là, se souvient Gerry Armstrong, alors promu second de l’Apollo. Hubbard devenait de plus en plus paranoïaque et violent. Il se croyait entouré de gens malveillants qu’il condamnait au RPF pour un oui ou pour un non…
« Si une odeur lui déplaisait, l’ingénieur chargé de la ventilation était condamné.
« Si le cuisinier brûlait un toast, RPF.
« Si une Messagère se plaignait de n’importe qui, RPF…
« Depuis son accident de moto, il n’était plus le même. On l’entendait hurler et délirer à longueur de journée Il accusait les cuisiniers de l’empoisonner. A l’époque, personne n’osait encore se dire que l’empereur était nu.
« Il exerçait un tel contrôle sur nos pensées les plus intimes que ne pouvions pas même envisager de tout plaquer sans croire que c’était nous qui étions anormaux. »
« Au soulagement général, le Commodore parut remis de son accident pour son soixante-troisième anniversaire en mars 1974 et l’Apollo reprit ses errances, dans un triangle délimité par le Portugal, Madère et les Canaries. Mais il s’était produit entre-temps un bouleversement dans la hiérarchie : après le Commodore et sa femme, les personnes les plus influentes étaient désormais des fillettes en débardeurs et mini-shorts, nouvel uniforme des fidèles Messagères. Pendant que Hubbard exhalait bruyamment sa douleur, les Messagères avaient en effet assumé à son service nombre de nouvelles tâches. Elles lui lavaient la tête et le coiffaient, elles l’aidaient à s’habiller et à se déshabiller, elles lui tartinaient le visage d’onguents qui, croyait-il, préservaient sa jeunesse. Une fois guéri, les Messagères continuèrent à le dorloter et à se rendre indispensables. Toutes blondes, jolies et bâties comme des majorettes, elles avaient conçu, avec la bénédiction du Commodore, ce nouvel uniforme destiné à mettre leurs attraits en valeur. Mais si les membres masculins de l’équipage rivalisaient d’ardeur pour tenter de déflorer ces troublantes lolitas, Hubbard ne leur manifestait aucun intérêt sexuel. « Il n’a jamais rien essayé avec nous, se souvient Tonya Burden, embarquée sur l’Apollo à quatorze ans.
« Il ne couchait même plus avec Mary Sue et, pour nous, il était devenu impuissant. A mon avis, il s’excitait en nous regardant, sans plus. » « Je lui ai demandé une fois pourquoi il s’entourait d’adolescentes, raconte Doreen Smith. Il m’a répondu que l’idée lui venait des nazis. Hitler était peut-être fou, disait-il, mais il était un génie à sa manière et la Jeunesse hitlérienne une de ses plus brillantes initiatives. Pour lui, les jeunes étaient des ardoises vierges sur lesquelles on pouvait écrire ce qu’on voulait […] Il préférait les filles parce qu’il considérait en général les femmes plus loyales et plus fidèles que les hommes. »
« Plus les Messagères flattaient ses caprices, plus Hubbard les considérait comme les seules personnes de son entourage dignes de sa confiance. Le soir, après le rituel de son coucher, il leur racontait interminablement ses aventures qu’elles écoutaient fascinées, assises à ses pieds. De tels privilèges ne pouvaient toutefois leur faire aucun bien : « Nous étions devenues de malfaisantes petites garces, intouchables et toutes-puissantes, admet Jill Goodman. Il n’était pas rare de voir une gamine de quatorze ans se ruer sur un officier en criant : « Tu vas faire un tour de RPF, sale connard. Ça t’apprendra à foutre le bordel ! » Il était impensable de répliquer, c’eût été aussi grave que de tenir tête à Hubbard. « [Elles] étaient ivres de leur pouvoir au point de devenir vicieuses et malhonnêtes, affirme la sœur d’Amos Jessup. Elles formaient une caste dangereuse » […]
« Il s’était fait confectionner des uniformes en soie blanche et avait doté ses fidèles Messagères de tenues blanches fort seyantes, complétées par des lunettes réfléchissantes leur donnant une sinistre allure de mutantes ou de robots tueurs […]
« Transporté d’urgence à l’hôpital, il y resta trois semaines avec, bien entendu, une garde permanente de Messagères à la porte de sa chambre et passa sa convalescence dans un bungalow du Hilton local […]
« Hubbard chargea des émissaires de dénicher l’oiseau rare, car la propriété devait être assez vaste pour loger non seulement sa famille mais aussi son entourage, le Commodore ne pouvant envisager de vivre sans ses courtisans et son escadron de jeunes Messagères à sa dévotion […]
« Le mercredi 17 novembre, en venant prendre son tour de garde, Doreen Smith entendit depuis la cour Hubbard hurler à pleins poumons : « Sale con de gamin. Tu vois ce qu’il m’a fait. Sale con de gamin ». En s’approchant, elle entendit les gémissements quasi inhumains de Mary Sue se mêler aux rugissements du Commodore. Dans le vestibule, la Messagère qu’elle venait relever lui dit en sanglotant : « Quentin s’est suicidé » (Russell Miller, Le gourou démasqué).