L’entrevue de Fatima Belaïd, ex-épouse de Loïk Le Flok-Prigent,
au sujet de son livre Au cœur de l’empire ELF. Une épouse encombrante
dans l’émission « Tout le monde en parle » de Thierry Ardisson
sur France 2, de la nuit du samedi 23 au dimanche 24 mars 2002

(Sont cités parmi les invités par ordre d’apparition : Laurent Baffie, Charly de Charly et Lulu.)

Thierry Ardisson : J’appelle maintenant Fatima Belaïd.

(Entrée sur fond musical de Fatima Belaïd qui va s’asseoir parmi les invités sous les ovations face à Thierry Ardisson. Ce dernier pose sur la table ce qu’il tenait dans les mains pour l’applaudir en souriant.)

Fatima Belaïd : Bonsoir.

(Fin des ovations et du fond musical d’entrée.)

Thierry Ardisson : Fatima Belaïd, bonsoir.

Fatima Belaïd : Bonsoir.

Thierry Ardisson : Vous êtes donc l’ex-épouse de Loïk Le Flok-Prigent…

Fatima Belaïd : Mm-mm.

Thierry Ardisson : qui a été successivement P-DG de Rhône-Poulenc, P-DG de ELF et P-DG de la SNCF. Vous, c’était plutôt l’époque ELF (Fatima Belaïd acquiesce de la tête). Alors, ben, dans l’affaire ELF, lui, il a eu 28 mises en examen…

Fatima Belaïd : Mm-mm (léger sourire des lèvres uniquement).

Thierry Ardisson : hein… six mois de prison préventive… (court silence, expression grave et attristée de Thierry Ardisson et de Laurent Baffie). Il y a eu un procès qu’on a appelé le procès Dumas, qui n’est pas le procès ELF, qui est le procès Dumas…

Fatima Belaïd : Oui.

Thierry Ardisson : Il a été condamné, votre ex-mari, à trois ans et demi de prison ferme et à 2,5 millions de francs d’amende. Bon, y’a eu appel…

Fatima Belaïd (très légèrement) : Mm-mm.

Thierry Ardisson : Et, dernièrement, quand y’a eu donc l’appel dans ce procès Dumas, votre ex-mari était absent. Il avait une pan-cré-a-tite (il détache les syllabes). Il était dans une clinique du Liban…

Laurent Baffie : … (deux ou trois mots dits trop faiblement, pas compris avec certitude, peut-être : Liban, pourquoi ?).

Thierry Ardisson : et le médecin-chef de cette clinique du Liban a dit que son état de santé n’était pas gravissime. Quand il était avec vous, est-ce qu’il avait déjà des problèmes de pancréas ?

Fatima Belaïd (déniant de la tête) : Non.

Thierry Ardisson : Jamais ?

Fatima Belaïd : Non, non, jamais (sourire accompagné d’un très léger rire).

Thierry Ardisson : Est-ce qu’il avait déjà du psoriasis ?

Fatima Belaïd (acquiesçant de la tête) : Oui, il avait déjà du psoriasis.

Thierry Ardisson : Bien. Alors votre ex-mari, je vous donne des nouvelles, va beaucoup mieux.

Fatima Belaïd : Tant mieux !

Thierry Ardisson : Il a quitté la clinique au Liban à Zargate (orthographie non garantie) le 11 mars, hein. Voilà, il va bien. Il est pas rentré en France (Fatima Belaïd acquiesce légèrement de la tête avec clignement appuyé des paupières). C’est un petit peu le problème parce qu’y’a un expert qui l’attend pour l’examiner mais il n’est pas rentré. L’expert veut pas aller au Liban donc voilà, on est un petit peu embêté. Est-ce que vous pensez, vous qui le connaissez bien pour avoir été son épouse, est-ce que vous pensez qu’il est en fuite ?

Fatima Belaïd : Non, j’peux pas vous dire s’il est en fuite ou pas. J’crois pas. Ça me semble un peu compliqué dans le contexte.

Thierry Ardisson : Pensez qu’il va revenir ?

Fatima Belaïd : J’ai pas… j’ai pas de réponse là-dessus parce que j’ai vécu avec lui un certain nombre d’années sans vraiment le connaître.

Thierry Ardisson : Ouais. Alors il vous a quitté, Loïk Le Flok-Prigent, y’a presque dix ans ; du jour au lendemain, hein ? vraiment…

Fatima Belaïd : Voilà, du jour au lendemain.

Thierry Ardisson : On va… on va en parler. Alors il était ici, Loïk Le Flok-Prigent…

Fatima Belaïd (doucement) : J’ai vu (sourire).

Thierry Ardisson : y’a six mois…

Fatima Belaïd : Ouais.

Thierry Ardisson : et voilà ce qu’il disait de vous :

Voix off : Magnéto, Serge !

(Séquence « Magnéto Serge ». D’abord plan sur un doigt appuyant sur une touche de clavier de synthétiseur où est écrit « Magnéto Serge », puis diffusion d’enregistrements vidéo de la même émission du 06/10/01.)

Loïk Le Flok-Prigent (très souriant) : Ça, c’est l’erreur !

Thierry Ardisson : Ça, c’est l’erreur, vous êtes d’accord…

Loïk Le Flok-Prigent : Mm, absolument.

Thierry Ardisson : hein ? C’est-à-dire… (éclat de rire général).

Loïk Le Flok-Prigent : Ah si ! ah si ! mon ex-épouse, c’est l’erreur !

Thierry Ardisson : Hein, il dit que…

Loïk Le Flok-Prigent : Mon épouse actuelle, non.

Thierry Ardisson : Mais l’épouse de cette période, oui.

Loïk Le Flok-Prigent : J’suis resté neuf mois marié…

Thierry Ardisson : Voilà…

Loïk Le Flok-Prigent : mais c’est neuf mois de trop.

Thierry Ardisson : Fatima Belaïd, donc elle, elle utilisait beaucoup la carte de crédit de ELF.

Loïk Le Flok-Prigent : Ouais, ouais, un peu trop !

Thierry Ardisson : Trois cents mille balles de robe, quand même !

(Moitié de plan gauche sur Fatima Belaïd et moitié de plan droite sur écran téléviseur reproduisant l’enregistrement. Fatima Belaïd regarde d’un air tendre et attristé. Sourire de Fatima Belaïd sur « Trois cent mille balles de robe, quand même ! »).

Loïk Le Flok-Prigent : Ouais, c’est… bien… bien… Le fisc est passé, ne vous inquiétez pas ! quoi, enfin quoi…

Thierry Ardisson : On vous l’a réintégré… on vous l’a réintégré.

Loïk Le Flok-Prigent (toujours très souriant, même rigolard) : Pour le contribuable… que le contribuable ne se vexe pas !…

Thierry Ardisson : Vous avez raison de penser aux contribuables…

Loïk Le Flok-Prigent : ne se vexe pas !…

Thierry Ardisson : parce que, ce soir…

Loïk Le Flok-Prigent : ne se…

Thierry Ardisson : les contribuables, ils doivent être bien énervés devant la télé (fait un signe d’interpellation avec l’index).

Loïk Le Flok-Prigent : ne se vexe pas ! Y’a pas de problème ! Pour le contribuable, y’a pas de problème…

Thierry Ardisson : hein !

Loïk Le Flok-Prigent : mais pour moi, y’a un problème : effectivement, ceci n’aurait pas dû être fait.

Thierry Ardisson : Mais alors, les dix-neuf millions de francs qu’elle a touchés lors du divorce, qui les a payés ?

Loïk Le Flok-Prigent : Y’a pas lors du divorce. C’est-à-dire, lors du divorce, personne n’a touché quoi que ce soit…

Thierry Ardisson : Mm-mm.

Loïk Le Flok-Prigent : C’est quatre ans après qu’elle reçoit cette somme…

Thierry Ardisson : Mm.

Loïk Le Flok-Prigent : Après le divorce. Moi, je n’ai plus aucune relation avec elle…

Thierry Ardisson (sur la voix de Loïk Le Flok-Prigent) : C’est encore votre ami Sirven qui…

Loïk Le Flok-Prigent : depuis… depuis quatre ans. Et c’est … (mot pas compris, quelque chose comme « Davy » mais Sirven se prénomme officiellement Alfred) Sirven qui…

Thierry Ardisson : C’est un bon copain, Sirven ! Et l’appartement à Londres ?

Loïk Le Flok-Prigent : Ça, c’est… première nouvelle ! C’est un appartement… Alors on sait jamais s’il appartient à la femme ou à Biderman, on… on n’en sait rien.

Thierry Ardisson : Ah oui, d’accord !

Loïk Le Flok-Prigent : C’est très compliqué.

Thierry Ardisson : Y’a un appartement à Londres qui rôde…

Loïk Le Flok-Prigent : Un appartement bizarre, vraiment bizarre

Thierry Ardisson : Il est pas à vous l’appartement ?

Loïk Le Flok-Prigent : Jamais.

(Fin de la séquence « Magnéto Serge ».)

Thierry Ardisson : Ça vous énerve de voir ça ?

Fatima Belaïd : Ça m’énerve ? Oui. Ça m’attriste surtout…

Thierry Ardisson : Mm-mm.

Fatima Belaïd : Je trouve ça assez pathétique…

Thierry Ardisson : Mm.

Fatima Belaïd : hein, c’est surtout… c’est… c’est plus de la tristesse que… Oui, ça m’agace aussi, bien sûr.

Thierry Ardisson : Mm. Ça vous fait quoi de le revoir ? Un petit pincement de cœur ou plus rien du tout ?

Fatima Belaïd : Dix ans ont passé…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : alors pas vraiment un pincement de cœur, non.

Thierry Ardisson : Ouais.

Charly : Quand vous l’avez rencontré, il était déjà laid comme ça ou… ? (éclat de rire général).

Fatima Belaïd (riant) : Il était plus charmant.

Thierry Ardisson (montrant la couverture du livre) : Fatima Belaïd, vous publiez cette semaine un livre qui s’appelle Au cœur de l’empire ELF. Une épouse encombrante chez Michel Laffont. Vous avez choisi « Tout le monde en parle » pour en parler, merci. Interview vérité :

(Court thème musical d’entrée de la séquence « Interview vérité ».)

Thierry Ardisson : Alors votre livre est dédié à votre fils Niels qui est né d’un premier mariage et que Le Flok-Prigent considérait, pendant toute la période où il était avec vous, comme son propre fils.

Fatima Belaïd : Mm-mm.

Thierry Ardisson : Alors on va parler de vous, on va parler de votre vie.

Fatima Belaïd : Mm-mm.

Thierry Ardisson : Vous êtes née à Bordeaux au milieu des années cinquante. Votre mère est Allemande…

Fatima Belaïd : Mm-mm.

Thierry Ardisson : et votre père Algérien. Alors votre mère, au début de la guerre, elle s’était engagée dans la Croix Rouge de la Vermacht et, un jour, elle va témoigner à la police, elle dit : « J’ai vu des juifs qui étaient électrifiés sur des fils de fer barbelé », et la police lui dit que si elle continue à dire des trucs comme ça, elle ira en prison (Fatima Belaïd acquiesce de la tête). Donc elle s’enfuit d’Allemagne…

Fatima Belaïd : Mm-mm.

Thierry Ardisson : et elle va à Bordeaux. Elle s’appelle Maria, votre mère.

Fatima Belaïd : C’est ça.

Thierry Ardisson : Là, elle rencontre un dénommé Belhadj qui est originaire de Tizi (certainement pour Tizi-Ouzou, chef-lieu de département, Grande Kabylie, Algérie). Et, à ce moment-là, y’a beaucoup d’Algériens qui arrivent en France pour reconstruire le pays, hein, c’est après la guerre…

Fatima Belaïd : Mm-mm.

Thierry Ardisson : Alors coup de foudre total entre vos parents (large sourire de Fatima Belaïd) au mépris de l’exclusion dont étaient victimes, évidemment, après la guerre non seulement les Allemands…

Fatima Belaïd : C’était très difficile.

Thierry Ardisson : mais, en plus, les Algériens. Alors vous, vous naissez en cinquante-cinq. Vous grandissez dans une HLM. A l’école, vous êtes victime de votre différence ?

Fatima Belaïd : Oui, y’a beaucoup de racisme à l’époque. Quand un jour j’ai les doigts plein de henné, qu’on essaie de me l’enlever de force…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : la directrice de l’école, et que je lui dis que ça ne part pas, et qu’elle me gifle, et elle me dit : « Et si tes parents sont pas contents, ils n’ont qu’à retourner chez Ben Bella ».

Thierry Ardisson : Oui. D’ailleurs on vous traite soit de sale boche à cause de votre mère soit de sale bicot à cause de votre père…

Fatima Belaïd (sur la fin de phrase de Thierry Ardisson) : Soit de sale bicot, oui.

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : C’est pas très loin après la…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : Deuxième Guerre Mondiale donc, effectivement…

Thierry Ardisson : Bien sûr, c’est dix ans après la Libération. Ça vous donne des migraines. Pendant toute votre scolarité…

Fatima Belaïd : Oui, c’est…

Thierry Ardisson : vous avez des migraines…

Fatima Belaïd : Ouais-ais, ouais.

Thierry Ardisson : à cause de ça. Et, en plus de ça, vous voyez souvent votre père qui est emmené en pleine nuit au commissariat et qui, le lendemain matin, revient avec le visage en sang (léger acquiescement de la tête de Fatima Belaïd). Alors c’est très difficile, pour vous, cette époque parce qu’on vous explique que vos ancêtres sont les Gaulois, apparemment…

Fatima Belaïd (large sourire et léger éclat de rire) : Oui, c’est ce que…

Thierry Ardisson : vous y croyez pas trop, hein ?

Fatima Belaïd : C’est difficile à croire à ce moment-là, ouais.

Thierry Ardisson : Vous préférez Che Guevara…

Fatima Belaïd (riant) : Heu, oui.

Thierry Ardisson : Angela Davis.

Fatima Belaïd : Mm. A tout ce qui arri… (pas compris).

Thierry Ardisson : Alors vous êtes à ce moment-là très révoltée, vous êtes LCR, vous êtes trotskiste, vous êtes Lutte Ouvrière. Et puis, un jour, déçue par le militantisme, vous acceptez un emploi de secrétaire. Ça vous plaît pas ?

Fatima Belaïd : Non, c’est pas vraiment ce que j’avais envie de faire mais, compte tenu de la scolarité que j’avais eue, à faire c’qu’on voit d’ailleurs de plus en plus souvent aujourd’hui, c’était un peu une voie de garage.

Thierry Ardisson : Alors vous partez de chez vous, vous allez en Allemagne, et là vous rencontrez un dénommé Peter. Vous vous installez tous les deux à Avignon. Lui, y bosse dans une imprimerie, vous vous occupez de Niels, l’enfant que vous avez avec lui. Et alors là vous sortez tous les soirs entre amis à Avignon, et c’est comme ça que vous rencontrez un barbu de trente-six ans avec des beaux yeux bleus…

Charly : Le Père Noël ! (éclat de rire général).

Thierry Ardisson : Le Flok-Prigent (il rit). Voilà. Alors il y a une idylle qui naît mais, deux ans plus tard quand vous vous séparez de votre ami allemand Peter, lui vous invite dans un chalet, dans le Jura. Vous faites des grandes balades tous les deux. Enfin, c’est le grand amour, là.

Fatima Belaïd : Oui, on est ami avant qu’il ne devienne… euh…(hésitant) mon amoureux, disons (large sourire très légèrement pincé).

Thierry Ardisson : Ben, ici, vous pouvez dire mon amant, hein ! (rire de Fatima Belaïd qui acquiesce de la tête). A partir de ce moment-là, vous vous voyez, surtout au départ, pendant les vacances. Et puis en 88, en 1988, vous venez vous installer à Paris. Et on est en juillet 89, vous êtes en vacances avec lui à Taormina et là vous devenez, bon, évidemment, amis, amants, mais aussi euh… presque… vous êtes sa confidente, quoi.

Fatima Belaïd : Oui, oui.

Thierry Ardisson : Vous êtes très très proche. Il vous fait part de ses doutes, il vous fait part de son enfance, de ses problèmes de jeunesse, de ses parents.

Fatima Belaïd : Oui. C’est quelqu’un d’assez secret, en fait, qui avait très très peu d’amis, qui se confiait très peu et, à moi, il me parlait.

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : Donc c’est de… je suis d’autant plus atterrée par ce qui se passe ensuite.

Thierry Ardisson : Alors il soufrait beaucoup d’avoir eu un père indifférent et, au contraire, une mère très possessive. D’ailleurs cette mère, vous la rencontrez un jour. Evidemment, elle est pas très contente que son fils lui ramène euh… quelqu’un comme vous, hein ?

Fatima Belaïd (acquiesçant fermement de la tête avec un large sourire) : Oui.

Thierry Ardisson : Ça se passe pas très bien, le contact est très froid. Elle vous fait manger un plat de fèves. Et puis alors si vous dites : « C’est le genre de gens comme ça, bretons cathos qui passent leur temps à tricoter des pulls pour les Africains mais qui parlent aussi sans arrêt de la suprématie de la race blanche », quoi.

Fatima Belaïd : Oui. Ça, c’est un peu difficile à supporter dans tous les cas, et puis je me rends compte qu’elle a une attitude plutôt méprisante, en fait…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : C’est pas… je suis pas la belle-fille qu’elle a…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : qu’elle aurait rêvé d’avoir.

Thierry Ardisson : Quelques temps plus tard, Mitterrand nomme Loïk Le Flok-Prigent P-DG de ELF.

Fatima Belaïd : Mm-mm.

Thierry Ardisson : Pour vous, ELF, c’est surtout « Les ronds rouges arrivent », quoi, la fameuse campagne de de…

Fatima Belaïd : De mon enfance. Je me souviens très bien…

Thierry Ardisson : Oui, pendant l’enfance…

Fatima Belaïd (souriant) : oui, les ronds rouges.

Thierry Ardisson (s’adressant aux invités) : Vous n’avez pas connu ça ?

Un invité : Non.

Thierry Ardisson : Un jour, dans toute la France, y’a eu marqué « Les ronds rouges arrivent », y’avait des ronds rouges…

Laurent Baffie : Ouais, c’était génial…

Thierry Ardisson : Et on savait pas ce que c’était, c’était vraiment…

Laurent Baffie : Et, un jour, dans toute la Bretagne, y’avait marqué « Le pétrole arrive », et c’était Total, aussi (éclat de rire général)… Le … (pas compris) crade.

Thierry Ardisson : Loïk Le Flok-Prigent devient, à ce moment-là, P-DG de ELF qui est la première entreprise française : sept milliards de francs de bénéfice, soixante-seize mille employés. Là, y’a un grand moment, c’est le jour où il va prendre possession de la tour ELF, et il vous emmène dans ce qui sera désormais son bureau, c’est-à-dire au dernier étage. Vous dominez tout Paris. Vous êtes un peu les rois du pétrole, on pourrait dire ?

Fatima Belaïd : Euh !…

Laurent Baffie (mimique de forte considération) : Ouais…

Fatima Belaïd : Lui, probablement. Moi, non…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : Je l’accompagne (sourire). Et je crois qu’il avait envie de me faire partager ce moment qui était important pour lui.

Thierry Ardisson : Et là, il vous confie la création d’une fondation…

Fatima Belaïd : Mm-mm.

Thierry Ardisson : humanitaire, la fondation ELF, à la fois pour redorer le blason de la compagnie et parce qu’aussi les épouses des chefs d’Etat africains avec qui ELF est en contact font toutes dans le caritatif. Donc il pense que c’est une bonne idée de vous donner ça.

Fatima Belaïd : Oui, il, il… En fait, ce qu’il souhaite, c’est créer une fondation à vocation humanitaire afin de redorer le blason de la compagnie et puis d’apporter une aide humanitaire dans les pays où ELF puise le pétrole…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : on peut dire, hein ? Donc il me demande de m’en occuper et euh… j’accepte, en fait.

Thierry Ardisson : Alors lui vous pousse, effectivement, à monter cette fondation. Y’a que Alfred Sirven qui est dubitatif ?

Fatima Belaïd : Oui, Alfred pense que c’est pas une bonne idée. Et d’ailleurs on va voir par la suite que c’est pas vraiment une bonne idée…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd  parce que je suis exposée et qui y’a des gens dans l’entourage de Loïk qui ne supportent pas que je sois à c’te place-là.

Thierry Ardisson : C’est vrai, en même temps, que vous devenez un personnage quasi-officiel de la République. Le Flok-Prigent vous emmène partout avec lui dans un Falcon 900…

Fatima Belaïd : Mm-mm.

Thierry Ardisson : qui est un avion extraordinaire (Laurent Baffie fait un signe avec deux doigts signifiant qu’il est lui-même propriétaire de deux Falcon 900), qui est un avion appartement… (s’adressant à Laurent Baffie) T’en as deux ?

Laurent Baffie : J’en ai deux.

Thierry Ardisson : (Rire.) Donc vous faites la tournée des maîtres de l’Afrique noire, les dîners, les réceptions. C’est comme une revanche, pour vous, quand même, sur la vie, non ?

Fatima Belaïd  C’est pas une revanche, c’est… c’est un peu féerique, c’est un rêve, c’est…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd  on voyage beaucoup ensemble et je suis euh… En fait, il souhaite que je l’accompagne dans tous ses voyages. Et c’est plutôt atypique parce que, jusqu’à présent, on n’a jamais vu un président de compagnie a…

Thierry Ardisson : Oui.

Fatima Belaïd : amener sa femme comme ça euh… avec lui, dans tous ses déplacements, dans les voyages officiels…

Thierry Ardisson : Et pourquoi il veut vous emmener ? Est-ce que c’est, par exemple, comme vous êtes d’origine algérienne, il revendique…

Fatima Belaïd : Non.

Thierry Ardisson : le fait que vous soyez Algérienne. Quelque part, c’est une provocation pour lui…

Fatima Belaïd  Voilà, c’est quelque part…

Thierry Ardisson : et puis ça lui permet des contacts peut-être plus faciles avec les pays du tiers-monde où ELF puise son pétrole, non ?

Fatima Belaïd : C’est possible mais je pense qu’à l’époque, il était très épris même s’il dit aujourd’hui que c’était une… grave erreur, une… ou la… sa pire erreur, bien que je pense que ce soit plus une erreur, à mon avis, stratégique mais pas une erreur amoureuse. Je pense qu’il est… qu’il avait un grand plaisir à m’avoir avec lui…

Thierry Ardisson : Il avait le béguin pour vous, quoi ?

Fatima Belaïd : Eh ben, oui, voilà ! (large sourire mêlé de réserve pudique).

Thierry Ardisson : Mais quand on vous voit, on comprend, hein !

Fatima Belaïd (souriant) : Merci (léger rire mêlé de réserve pudique).

Thierry Ardisson : Alors en 90, vous vous mariez (expression appuyée de Laurent Baffie signifiant que Fatima Belaïd est une très belle femme). Alors le week-end de noces , c’est à Marrakech à la Mamounia.

Fatima Belaïd : Mm-mm.

Thierry Ardisson : Ensuite vous allez à New York pour l’introduction du groupe ELF en bourse, c’est l’hôtel Pierre qui donne quand même sur Central Park.

Fatima Belaïd : … (pas compris, trop sur la fin de phrase de Thierry Ardisson).

Thierry Ardisson : On peut dire, c’est quand même une super vie, hein ?

Fatima Belaïd  C’est une super vie, effec…

Thierry Ardisson (sur la phrase de Fatima Belaïd) : Ouais… ouais…

Fatima Belaïd : J’avais pas beaucoup voyagé avant…

Thierry Ardisson (sur la phrase de Fatima Belaïd) : Le tour du monde en tapis rouge, hein ? (sourire).

Fatima Belaïd : Oui, c’est ça…

Thierry Ardisson (sur la phrase de Fatima Belaïd) : Ouais… ouais…

Fatima Belaïd : c’est tout à fait…

Thierry Ardisson (sur la phrase de Fatima Belaïd) : Ouais…

Fatima Belaïd : extraordinaire.

Thierry Ardisson (sur la phrase de Fatima Belaïd) : Et partout, Moscou, l’Asie centrale, le Qatar. Vous prenez un appartement de trois cents mètres carrés rue Octave Feuillet…

Fatima Belaïd : Mm-mm.

Thierry Ardisson : à Paris, un duplex avec terrasse. C’est reine d’un jour, là ?

Fatima Belaïd : Oui, tout à fait. C’est la belle vie, c’est fantastique et…

Thierry Ardisson : Mais il le trouve pas assez beau l’appartement de la rue Octave Feuillet, alors il prend un hôtel particulier rue de la Faisanderie : quarante-cinq millions de francs.

Fatima Belaïd : Oui. Lui, il avait d’autres projets, en fait…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd  il avait… il… il souhaitait acquérir un appartement, quelque chose qui lui appartienne et…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd  on était très bien rue Octave Feuillet. Oui (faiblement).

Thierry Ardisson : Alors en plus il prend encore un deuxième hôtel particulier, c’est insensé ! (rire, sourire pincé de Fatima Belaïd). C’est vrai, pour la fondation, hein ?

Fatima Belaïd : C’…

Thierry Ardisson : Rue Dumond-Durville…

Fatima Belaïd : Voilà…

Thierry Ardisson : pour la fondation ELF.

Fatima Belaïd : Oui, oui.

Thierry Ardisson : Voilà. Alors il est de plus en plus mégalo quand même il faut dire à ce moment-là, non ?

Fatima Belaïd : Je pense que quand on accède à un poste avec autant de pouvoir, il disait lui-même qu’il avait plus de pouvoir qu’un ministre…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : on perd un peu la tête…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : ouais.

Thierry Ardisson : Il se déplace plus qu’avec un cortège de voitures ; gyrophare, même pour aller acheter le pain (riant)…

Fatima Belaïd : Oui…

Thierry Ardisson : Il se croit invulnérable à ce moment-là ?

Fatima Belaïd : Oui. Je crois qu’il se pense invulnérable, hein… ouais (faiblement).

Thierry Ardisson : Alors y’a un problème, c’est…

Laurent Baffie : C’est pas de pain ! (suivi d’un mimique désolée).

Thierry Ardisson : y’a un problème… y’a un problème, c’est que Danielle Mitterrand (on entend Charly rire de la blague de Laurent Baffie) qui a fait la fondation France-Libertés, elle prend un peu ombrage de la fondation ELF. Et vous faites une erreur. Elle vous envoie un jour son ami, son grand ami Raphaël Doueb, qui vous propose quelque chose et vous l’éconduisez.

Fatima Belaïd : Mm-mm.

Thierry Ardisson : Il vous en a voulu d’ailleurs…

Laurent Baffie : Joliment dit, hum !

Thierry Ardisson : Mitterrand, pour ça.

Fatima Belaïd : Oui. En fait, moi, je prends pas très au sérieux ce qu’on me raconte quand on me dit que Madame Mitterrand est agacée, qu’elle… on me raconte qu’elle pense que je veux absorber la…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : sa fondation France-Libertés. Je peux pas imaginer une seconde qu’elle puisse croire ce genre de chose. Je pense que plus y’a de… plus y’a de…

Laurent Baffie : Mécènes plus y’a de … (pas compris).

Fatima Belaïd : d’associations. Oui, voilà, mieux le monde se porte.

Thierry Ardisson : Oui.

Laurent Baffie : Absolument.

Fatima Belaïd : Donc je prends pas vraiment au sérieux. Et quand Raphaël Doueb vient me voir, le budget de l’année est déjà bouclé, ce qu’il me propose rentre pas du tout dans le cadre des attributions de la fondation et je refuse.

Thierry Ardisson : Et vous saviez que c’était un grand ami de Danielle Mitterrand, Raphaël Doueb ?

Fatima Belaïd : Oui.

Thierry Ardisson : Alors y’a un dîner qui est organisé rue de Bièvre, hein ?

Fatima Belaïd : Mm-mm.

Thierry Ardisson : C’est Madame Mitterrand elle-même qui vous appelle. Alors c’est un dîner où y’a Roger Hanin, Christine Gouze-Reynal, Roland Dumas. Là, vous découvrez un Loïk Le Flok-Prigent très cire-pompe avec le président de la République.

Fatima Belaïd : Obséquieux, oui, un petit peu…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : Oui… oui.

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd  : Mais bon…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : il était pas le seul…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : hein, tout le monde avait envie de plaire au président Mitterrand.

Thierry Ardisson : Ouais. Personne vous adresse la parole pendant ce dîner ?

Fatima Belaïd : Personne. Donc, moi, j’y vais parce que Alfred Sirven insiste. J’ai pas vraiment envie d’y aller compte tenu…

Thierry Ardisson : Mm.

Fatima Belaïd : des relations un peu tendues avec Madame Mitterrand. Je comprends pas vraiment son invitation. Et j’accepte parce que Sirven me dit que le président veut absolument faire ma connaissance.

Thierry Ardisson : Ouais. Alors, au retour, Loïk Le Flok-Prigent vous prend la main dans la voiture. Il est assez penaud, hein, vous dites dans votre livre.

Fatima Belaïd : Mm-mm.

Thierry Ardisson : Et pis là des rumeurs commencent à courir sur vous. On vous accuse de vouloir balancer ce que vous savez sur les détournements de fonds au sein de l’affaire ELF. On vous accuse donc de demander de l’argent en échange de votre silence. On vous accuse même de faire partie d’un réseau de call-girls…

Fatima Belaïd : Eh oui !

Thierry Ardisson : et d’avoir été recrutée par Tarallo, le grand adversaire de Sirven, pour séduire Loïk Le Flok-Prigent.

Fatima Belaïd : Oui. Alors on raconte beaucoup de bêtises à c’t’époque, des tas de rumeurs, en fait, que Loïk et Alfred font eux-mêmes courir pendant un temps pour justifier, en fait, le fait que je vais être répudiée juste après.

Thierry Ardisson : Mm.

Fatima Belaïd : … … (pas compris, peut-être « Voyez que »). Je dois dégager finalement.

Thierry Ardisson : Ouais. Alors on vous accuse d’être capricieuse.

Fatima Belaïd : Oui, parce que…

Thierry Ardisson (sur la fin de phrase de Fatima Belaïd) : On dit que vous avez fait changer la moquette de votre bureau parce que vous n’aimiez pas la couleur.

Fatima Belaïd : Voilà ! Donc j’étais allergique en fait, hein. Je suis allergique à beaucoup de produits toxiques…

Thierry Ardisson : La colle synthétique…

Fatima Belaïd : et je suis allergique à la colle.

Thierry Ardisson : Mm.

Fatima Belaïd : Donc j’ai supporté pendant trois jours et puis le quatrième, on a changé. On a enlevé la colle et on a reposé la moquette.

Thierry Ardisson : Mm. Alors, à ce moment-là, ça a l’air d’aller mieux. Vous partez en vacances aux USA, à Long Island, à Kepcode (orthographie non garantie). Et tout devrait aller bien. Et au moment, comme ça, vers la fin des vacances, vous trouvez que Loïk Le Flok-Prigent est pas très bien. Il est dans un profond désarroi, il vous fait des sourires de façade, et puis quand vous vous approchez de lui qu’il est au téléphone, vous dites « Ça va ? », « — Ouais, ouais, tout va bien », mais enfin, vous sentez qu’en fait, ça va pas.

Fatima Belaïd : Oui. Non, ça va pas. Il a préparé son départ. Et je l’apprends ensuite, quand l’instruction a démarré d’ailleurs, que… il a déjà pris un appartement…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : à deux pas de la maison d’ailleurs, et qu’il a…

Thierry Ardisson : A ce moment-là…

Fatima Belaïd : il a déjà un plan bien précis pour me quitter.

Thierry Ardisson : Il en laisse rien paraître pendant ces vacances aux USA. Alors, au retour, vous partez deux jours à Avignon chez votre copine Irène et quand vous revenez à Paris, les affaires de Loïk Le Flok-Prigent ont disparu de l’appartement. Et là, vous arrivez plus à le joindre.

Fatima Belaïd : J’essaie de l’appeler, il est pas là. Sa secrétaire me fait savoir que, de toute façon, il veut plus me parler, qu’elle a reçu des ordres. Et je reçois dans la soirée la visite de Maurice Biderman qui me dit que Loïk veut divorcer et qu’il faut que je démissionne de la fondation très rapidement. Je refuse…

Thierry Ardisson : Mm.

Fatima Belaïd : parce que ce que je veux, c’est voir mon mari, à l’époque, et avoir une explication. Jecomprends pas son départ, la raison de sa fuite. Je sais pas pourquoi il est parti aussi brutalement. Y’avait pas de conflit entre nous. On n’avait pas de problème. Je crois qu’on avait sûrement des problèmes comme tous les couples mais pas de quoi se séparer sans un mot. On avait été amis pendant longtemps, je pensais bien le connaître, et s’il avait voulu me quitter parce que il était plus amoureux, qu’il ne pouvait plus vivre avec moi pour des raisons affectives personnelles…

Thierry Ardisson (sur la voix de Fatima Belaïd) : Mais attendez…

Fatima Belaïd : il aurait pu me le dire.

Thierry Ardisson : dans l’intimité, ça se passait toujours très bien ?

Fatima Belaïd : Mais ça se passait très bien…

Thierry Ardisson (sur la voix de Fatima Belaïd) : Et y vous quitte…

Fatima Belaïd : très bien.

Thierry Ardisson : C’est-à-dire c’est votre mari, ça se passe bien, y’a pas de souci et du jour au lendemain y vous quitte…

Fatima Belaïd (sur la voix de Thierry Ardisson) : … … … (deux ou trois mots pas compris).

Thierry Ardisson : Quand vous revenez, l’appartement est vide.

Fatima Belaïd : Je rentre chez moi, y’a plus r… il a vidé sa… il a vidé ses… y’a plus ses affaires, les affaires de son fils ont disparu de la chambre, y’a… même le lit, y’a plus rien.

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : Et pas un mot d’explication.

Thierry Ardisson : Et, à ce moment-là, on vous accuse d’avoir piqué un million dans les…

Fatima Belaïd : Voilà.

Thierry Ardisson : caisses de la fondation et, le jour où vous voulez vérifier, tous les documents ont disparu.

Fatima Belaïd : Voilà. Parce que je refuse… je refuse : un, de divorcer ; deux, de démissionner de la fondation et je fais savoir à Maurice Biderman que, dès le lendemain, je me rendrai au bureau et que j’irai travailler comme d’habitude…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : Il me dit : « Mais ça, je crois pas que ce soit une bonne idée parce que, figurez-vous, qui semblerait qui manque un million dans la caisse….

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : de la fondation et on vous accuse de les avoir pris ». Donc je dis : « Je serai au bureau demain et je ferai… je réunirai le conseil d’administration…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : j’éplucherai compte après compte et on verra que rien n’a disparu ». Et quand j’arrive, le lendemain matin, à la fondation : un, on refuse de me laisser rentrer, y’a deux gardes du corps pour m’empêcher. J’appelle Maurice Biderman, je finis par rentrer et quand j’arrive dans mon bureau, c’est comme à la maison…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : le bureau a été vidé, j’ai plus aucun document, même plus mes agendas, même plus mon carnet de notes personnel, plus rien, et…

Thierry Ardisson (sur la voix de Fatima Belaïd) : … (pas compris), c’est un vrai cauchemar, son histoire.

Laurent Baffie : Incroyable ! (réactions de stupeur des invités).

Thierry Ardisson : C’est un vrai cauchemar.

Fatima Belaïd : A ce moment-là…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : je trouve une lettre sur mon bureau. Monsieur Bechtel (orthographie non garantie) qui…

Thierry Ardisson : C’était le mec qu’on vous avait mis là pour vous fliquer, Bechtel, hein ?

Fatima Belaïd : Pour me fliquer, complètement. Donc cette lettre me dit que les mémoires des ordinateurs ont été effacées, y’a plus les statuts, y’a plus les comptes, y’a plus rien, qu’on va faire une enquête de police…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : et qu’il va en référer au président de la compagnie.

Thierry Ardisson : Alors, à partir de là, ils vont tout faire pour vous faire accepter le divorce, hein ?

Fatima Belaïd : Oui, par tous les moyens.

Thierry Ardisson : Menaces de mort. André Guelfi, un jour, vous convoque au bar du Ritz, Dédé la Sardine, et il vous montre des documents estampillés « Police Nationale », hein ?…

Fatima Belaïd : Absolument, ouais.

Thierry Ardisson : qui parlent du passé de vos parents, de vos problèmes psychiatriques, de votre vie dissolue et même de partouzes.

Fatima Belaïd : Voilà. Alors ce qui est assez choquant (on entend derrière de façon incompréhensible une voix, probablement celle de Laurent Baffie qui n’a certainement pas pu laisser passer le mot « partouze » sans dire quelque chose. On voit ensuite un plan sur Charly en train de rire discrètement) c’est que sur le passé, tout est absolument exact ; sur la vie de mes parents, tout est réel, ça c’est exact, c’est la vérité ; et puis, quand on arrive au présent, je fais des partouzes dans mon appartement, je m’occupe mal de mon fils…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : j’ai un comportement aussi de quelqu’un de pas tout à fait normal, je suis épuisée, surmenée et, finalement…

Laurent Baffie (sur la voix de Fatima Belaïd) : Ben, fallait pas !

Fatima Belaïd : ce qu’il me conseille… (répondant à Laurent Baffie) Eh oui ! eh !… (reprenant son fil) il me conseille de partir dans une maison de repos…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : que je dois accepter ce divorce, que j’ai pas d’autre choix, et que si je continue sur mes positions, je serai probablement donc enfermée…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : et que Loïk prendra la garde de mon fils.

Thierry Ardisson : Y’avait « Police Nationale » sur ces documents ?

Fatima Belaïd : Y’avait « Police Nationale » sur le document, donc c’est ce qui me choque le plus.

Thierry Ardisson : Alors on vous explique que Loïk Le Flok-Prigent est prêt à faire enlever l’enfant, à vous donner de l’argent en Suisse, si vous acceptez le divorce. On vous propose quinze millions.

Fatima Belaïd : Voilà.

Thierry Ardisson : En attendant, c’est plutôt trente mille par mois de temps en temps. Mais vous les avez eu les quinze millions pour finir ?

Fatima Belaïd : Je les ai eus.

Thierry Ardisson : Alors on vous menace d’accident, hein aussi, enfin on vous menace de tout…

Fatima Belaïd : D’accident, oui…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : parce qu’à l’époque, en fait, je veux raconter comment le président de la première compagnie française traite sa femme…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : les menaces, les pressions pour me faire divorcer. Enfin en bas de chez moi y’avait une voiture avec deux types en permanence qui surveillaient, mon téléphone était sur écoute et certains se faisaient un plaisir de me rapporter les conversations que j’avais eues, les endroits où j’étais allée. Donc j’avais menacé à un moment donné de parler à un journal…

Thierry Ardisson : Mm.

Fatima Belaïd : et de raconter ce qui m’arrivait. Et là, on m’a dit d’abord que tout le monde s’en foutait de mon histoire et que c’est… personne me croirait. Ce que je pense à l’époque parce que l’histoire est tellement abracadabrante…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : que je pense qu’effectivement personne ne va me croire et compte tenu aussi que, régulièrement, on me dit que je suis pas saine d’esprit, que je suis…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : un peu heu…

Thierry Ardisson : Alors quand vous en parlez à…

Fatima Belaïd : névrosée.

Thierry Ardisson : Quand vous en parlez à celui qui est encore votre mari à l’époque, il vous répond : « Ça nous dépasse….

Fatima Belaïd : Voilà.

Thierry Ardisson : on n’y peut plus rien, enfin je… »

Fatima Belaïd : C’est-à-dire que…

Thierry Ardisson : Il a l’air de… de… finalement, d’être sous influence, lui.

Fatima Belaïd : Oui, voilà. Moi, j’ai… Connaissant le Loïk que je connaissais à l’époque, j’imagine pas un instant qu’il ait pu partir comme ça de son propre chef. Donc je suis, moi, persuadée que… on le pousse à divorcer. Et la « confirmation », entre guillemets, parce qui y’en aura d’autres après, mais la première, c’est que lorsque j’essaie de faire, en fait, un geste, parce que ce que je souhaite, moi, c’est qu’on puisse s’expliquer. C’est quand même l’homme avec qui je vis, avec qui je me suis mariée…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : et que j’aime à l’époque. J’ai envie de comprendre ce qui nous arrive. Je lui envoie un bouquet de fleurs pour son anniversaire. Et, à ce moment-là, ça l’a visiblement touché. Il me téléphone en fin de journée du bureau pour me dire que il a été très touché par les fleurs et puis, à un moment donné, la voix se casse et il… il pleure. Parce que je lui dis, moi : « Mais enfin, ne laisse pas les autres régler nos histoires », parce que je n’ai affaire qu’à des intermédiaires c’est-à-dire que…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : y disparaît et je ne le revois pas. C’est Alfred Sirven, entre autres, qui me dit à un moment donné en tapant du poing sur la table : « Vous ne reverrez jamais votre mari. C’est terminé. Si vous avez un compte à régler, c’est avec moi »…

Thierry Ardisson (sur la voix de Fatima Belaïd) : C’est terrible ! c’est terrible c’t’histoire !…

Fatima Belaïd : Et je lui répond : « Moi…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : mais ce n’est pas avec vous que j’ai été mariée….

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : Je veux parler à mon mari ». C’est un vrai cauchemar en fait. Et, à ce moment-là, lui me dit : « Mais ça n’est plus… ». Je lui dis : « Réglons nos problèmes entre nous…

Thierry Ardisson : Mm.

Fatima Belaïd : s’il te plaît, viens, parlons-en ! », et il me dit : « Mais ça n’est plus entre mes mains et…

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : ça nous dépasse et je ne peux plus rien faire et je ne t’appellerai plus, ça me fait trop mal ».

Thierry Ardisson : Ouais.

Fatima Belaïd : Ça c’est…

Thierry Ardisson : Alors finalement…

Fatima Belaïd : les dernières paroles sincères que j’ai dû avoir.

Thierry Ardisson : finalement vous acceptez le divorce et vous partez en Palestine, vous partez à Gaza…

Fatima Belaïd : Oui.

Thierry Ardisson : retrouver vos racines arabes…

Fatima Belaïd : Changer d’air aussi.

Thierry Ardisson : pour vous reconstruire.

Fatima Belaïd : Mm-mm.

Thierry Ardisson : Et vous dites : « A Gaza, finalement, j’étais moins en danger qu’à Paris » (rire. Fatima Belaïd rit aussi). Et puis voilà. Et puis ensuite y’a la mise en examen, votre mise en examen. Vous êtes la première d’ailleurs dans l’affaire…

Fatima Belaïd : Oui.

Thierry Ardisson : Et Loïk vous met, à partir de là, toutes les sommes dépensées sur le dos…

Fatima Belaïd : C’est facile !

Thierry Ardisson : c’est ce qu’il a fait quand il était ici, oui.

Fatima Belaïd : Oui, c’est facile de justifier ainsi ses débordements financiers.

Laurent Baffie : Et ça jouait sur quelle somme ?

Fatima Belaïd : Trois cent mille, ça me paraît drôlement démesuré, mais c’est vrai qui m’a accompagnée acheter des robes et, compte tenu de la position qu’il avait, et je l’accompagnais dans tous ses déplacements, j’avais à être habillée.

Thierry Ardisson : C’est marrant cette République où tout le monde fait les courses ensemble. Y’a Christine Deviers-Joncours qui accompagnait Roland Dumas chez…

Une invitée : Chez Berluti (rire. Sourire de Fatima Belaïd).

Thierry Ardisson : chez Berluti, Loïk Le Flok-Prigent qui vous accompagne. Enfin c’est…

Fatima Belaïd : m’accompagner…

Laurent Baffie : Arlette Laguiller va toute seule chez Tatie, je voudrais le souligner (rire général).

Thierry Ardisson : Attention !

(Séquence « La question qui tue ». Obscurité générale sauf un halo projecteur de lumière blanche sur Fatima Belaïd. Fond musical tendu avec des violons frénétiques.)

Thierry Ardisson : Fatima Belaïd, y’a trois solutions : la première, c’est qu’effectivement Loïk Le Flok-Prigent a appris des choses graves sur votre passé ; la deuxième, c’est que vous savez des choses que vous n’auriez pas dû savoir ; et la troisième, c’est un ordre de Mitterrand que Loïk Le Flok-Prigent n’a fait qu’accepter sans discuter. Quelle est la bonne réponse ?

Fatima Belaïd : La troisième (sourire).

Thierry Ardisson : Vous pensez que c’est Mitterrand…

Fatima Belaïd : Absolument.

Thierry Ardisson : qui a dit à Le Flok-Prigent : « Il faut que vous quittiez cette femme ».

Fatima Belaïd : Absolument. Et d’ailleurs beaucoup de protagonistes dans le dossier, et des personnalités pas des moindres, sont venus le confirmer.

Thierry Ardisson : Pourquoi, à votre avis ?

Fatima Belaïd : Pourquoi ? Parce que j’étais trop présente, que c’était la première fois qu’un… ça n’était… c’était atypique dans ce milieu, c’était la première fois qu’un président de société, de cette importance en plus, amenait son épouse avec lui dans tous les déplacements, dans ses… les voyages officiels. J’ai assisté à des signatures de contrat et je pense que certains avaient peur et se méfiaient de ce que j’avais pu entendre ou des confidences que Loïk aurait pu me faire. Donc j’étais gênante.

Thierry Ardisson : Merci.

(Fin de la séquence « La question qui tue ». Fond musical de cuivres devant orchestre tenant du rock-variétés et du R’ & B’, avec applaudissements rythmés des spectateurs.)

Thierry Ardisson (montrant la couverture du livre) : Fatima Belaïd, ex-épouse de Loïk Le Flok-Prigent, Une épouse encombrante. Au cœur de l’empire ELF, Mesdames, Messieurs.

(Fin du fond musical. Les applaudissements s’éteignent progressivement.)

Thierry Ardisson : Merci de votre témoignage et merci d’avoir choisi « Tout le monde en parle ».

Fatima Belaïd  Je vous remercie.

Thierry Ardisson : Bon courage !

Fatima Belaïd : Merci (se levant). Au revoir.

(Fatima Belaïd sort en souriant à l’assistance sur fond musical de trompettes pendant que Thierry Ardisson montre la couverture de son livre.)

Transcription de Paul Vannieuwenhuyze.

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