Epilogue

Nuit du vendredi 12 au samedi 13/06/98, 2 h 20 du matin.

A cause de ce pressentiment très fort d’une menace qui planait sur elle, Michel se cru obligé de remettre ce qui fut sa dernière lettre au plus vite à Patricia. Il la vit dans la nuit du vendredi 12 au samedi 13 juin 1998, vers 1 h 45 du matin. Elle refusa de prendre cette sixième lettre en lui disant qu’elle ne les lirait plus. Elle ajouta que ce serait mieux pour lui. Michel lui demanda s’il la verrait le dimanche de la semaine suivante comme il l’avait projeté. Elle répondit sèchement par la négative, lui faisant comprendre qu’elle ne monterait plus jamais avec lui.

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*   *

Michel

Nom ange, ma chérie, mon amour,
ma joie, mon désespoir,

Nuit du samedi 20 au dimanche 21/06/98, 4 h 53 du matin.

Je suis revenu te voir malgré que tu m’aies jeté. J’ai décidé de continuer d’essayer de t’aimer malgré tout. Lorsque cette histoire d’amour a commencé, de mon côté j’étais dans un état lamentable, une sorte d’apathie langoureuse, je n’avais plus envie de rien, j’attendais la mort en quelque sorte. Vivement la retraite et la mort, qu’on en termine, parce qu’est-ce qu’on se fait chier ici ! Et puis voilà, j’ai réalisé que j’étais tombé amoureux de toi, ou je me suis laissé aller un peu volontairement à tomber amoureux de toi, ou je me suis tourné vers toi parce que d’instinct je savais que j’avais besoin d’une femme en ligne de mire pour en sortir, et ce fut toi. Je me suis mis à t’aimer véritablement d’un véritable amour, d’un amour d’une pureté incroyable, d’une force qui dépasse tout. Je t’aime, Patricia, je t’aime, je t’aime, je t’aime. Et, en même temps, je sais que je t’aime d’un amour égoïste, calculateur et parfaitement sordide. C’est vrai, je le reconnais, j’en suis désolé, c’est comme ça et je ne peux faire autrement. Je t’aime aussi parce que j’ai besoin de t’aimer, parce que de t’aimer me fait du bien. J’ai bien changé depuis l’époque de la première lettre, et je compte changer encore plus dans les semaines qui viennent.

J’ai commencé à m’occuper de moi parce que je voulais t’offrir un beau mari. J’ai pris goût à cette rééducation. Hier, j’ai fait 2 km presque d’affilée en brasse. C’était la première fois de ma vie que mon corps a secrété cette drogue que connaissent les sportifs (je crois que c’est l’endomorphine mais je n’en suis pas sûr), en faisant de la natation. J’avais déjà connu l’euphorie que donne la course à pied ; chez moi, c’est au bout d’une vingtaine de minutes de course que je me mets à me fendre la gueule. J’étais complètement défoncé en sortant de la piscine. Super heureux, je venais de faire 40 fois 50 mètres, soit 2 kilomètres, alors que mon dernier record était à mille deux cents mètres. Maintenant, je vise les 5 kilomètres ; j’en aurais pour plus de deux heures et demi, presque trois heures, mais j’y arriverais. Je vais d’abord m’attaquer au trois kilomètres, puis quatre, et puis cinq. Je crois qu’à la fin de l’été, je devrais avoir une forme physique éblouissante. Si je me tape 15 kilomètres de natation par semaine, j’espère vraiment perdre mon ventre et changer de dégaine. Je ne boîte déjà presque plus en marchant, ce qui est déjà par mal. Mes chevilles travaillent extrêmement bien avec la natation, et je crois que je vais pouvoir me passer d’intervention chirurgicale, alors que je craignais sérieusement d’être obligé de retourner sur le billard pour mes pieds.

Je me suis remis aussi à chercher du boulot grâce à toi. Pour le boulot à Tours, c’était une galère, mais cela m’a remis dans le bain. Je vais m’accrocher aussi de ce côté-là. Tout cela, c’est entièrement à toi que je le dois. Je le savais, je savais que j’avais besoin d’être amoureux d’une femme pour m’en sortir. C’est désolant que tu ne m’aimes pas. Je suis dans une drôle de situation : je t’aime sincèrement d’un amour entier, merveilleux et véritable ; et, en même temps, je sais que je t’aime par intérêt, par un sordide calcul d’instinct de survie, parce que je sais comment je fonctionne en temps qu’homme, et que je sais que je ne m’en sortirais pas si je n’étais pas amoureux de toi. C’est à la fois merveilleux et horrible. C’est au point que je n’ose plus rien te demander, mon amour n’a plus aucune exigence, sauf celle de me permettre de te dire que je t’aime sous des formes diverses et variées. Puisque tu ne veux plus lire mes lettres et que tu ne veux plus monter avec moi. Eh bien ! je passerai à pied dans l’espoir d’arriver à te dire quelques mots, dans l’espoir que ta colère et ta hargne actuelle contre moi finiront par s’estomper un petit peu, qu’on arrivera à établir une communication. Qu’est-ce que tu veux me faire si je t’envoie un baiser en passant devant toi au moment de partir en voiture ? Tu ne peux pas m’en vouloir parce que je te fais un baiser ? Je vois bien que tu me regardes avec un air de dire que mon baiser je peux bien me le mettre quelque part, mais cela me permet de te dire que je t’aime, malgré ton refus de me parler, malgré les ondes hyper agressives que tu m’envoies dès que j’approche de toi.

D’un certain côté, je me dis « Au moins, je ne te laisse pas indifférente, c’est déjà ça ! » Mais si c’est pour avoir ton visage d’une hostilité effrayante envers moi, je me demande si j’en arrive pas à regretter l’époque où tu dormais béatement. Je sais ce qui te chagrine, cela n’a rien à voir avec toutes les raisons que tu m’as données. Les histoires que je parle avec tes clients (alors que je n’ai jamais parlé qu’une seule fois avec un seul mec qui attendait son copain, et qu’en plus je te l’ai raconté, écrit, je n’ai pas même cherché à te dissimuler ce truc insignifiant). Les histoires que je parle de toi avec d’autres filles. Tu parles ! C’est pour savoir si tu es là, ou des conneries comme ça. Et puis si j’ai cherché à savoir où tu étais pendant les quatre années où tu as disparue, cela me semble normal pour un être humain qui tient à quelqu’un. C’est vrai que je me demande parfois si tu es un être humain ou une race d’oiseau de proie ! Les histoires que je veux te faire suivre par un détective, d’abord je n’en ai pas les moyens actuellement avec mon RMI. ET puis bon, si je trouvais ton adresse, que je vienne frapper à ta porte, cela changerait quoi ? Rien ! Tu ne m’ouvrirais même pas ! Alors c’est quoi tout ce délire ? Les histoires que je parle trop de ta fille Julia, c’est quoi ça aussi ? Je n’en parle que dans mes lettres qui ne sont adressées qu’à toi, et pour dire quoi ? Que c’est bien de commencer des leçons de danse et de musique de bonne heure pour une enfant. C’est ça, mon crime ? C’est cela où je vais trop loin ?

Tu me reproches aujourd’hui d’être allé trop loin. En quoi suis-je allé trop loin ? Ce n’est pas les histoires de cul, d’érotisme ou de sado-maso, je sais que tu t’en tamponnes, qu’à la rigueur cela t’amuse ou que tu n’en as rien à foutre. Par contre, il y a autre chose dont tu ne parles évidemment pas. Comme toutes les femmes, tu tournes autour, tu fais des cercles, mais jamais tu ne diras directement le principal. Alors je vais te le dire ce principal, je vais te le dire ce qui te met horriblement hors de toi, ce qui fait que tu me détestes, que tu me haies, que tu m’exècres, m’abomines, que tu veux m’écraser, me détruire, me faire mal, me faire disparaître de ta vie, m’exiler, m’abandonner, me jeter au loin, m’oublier, ne plus jamais me revoir, je vais te dire ce que c’est : c’est que je t’aime, et que je te le prouve, que je t’adore, que je te chéris, que je t’aime, toi, Patricia, pas cette conne, pas cette pute de Lætitia derrière laquelle tu te planques depuis tellement d’années. Je t’aime, je t’aime, je t’aime, de toutes mes forces, comme on ne t’a jamais aimé, je t’aime tellement que tu n’as plus aucune excuse à faire valoir. Mon amour est ta honte, ton flagrant déshonneur. La lumière qui émane de moi révèle toute la noirceur de ton âme, de ton être. Tu es prise la main dans le sac en face de ta propre conscience, et tu ne peux plus rien faire que nier, que nier l’évidence qui te saute aux yeux. Cette évidence, c’est que tu n’as jamais aimé. Jamais de ta vie tu n’as eu le moindre sentiment d’amour pour quelqu’un. Le mec que tu as fait semblant de pleurer lorsqu’il t’a plaqué pour te donner bonne conscience, ce mec-là, tu sais maintenant, grâce à moi, à cause de moi (et c’est pour cela que tu me haies), tu sais que tu ne l’as jamais aimé. Jamais, jamais ! Tu n’as jamais pensé qu’à ta petite gueule, qu’à ton petit confort, qu’à ta petite vie peinarde de pute super belle qui peut se mettre un paquet de pognon inimaginable dans les poches. Quand tu as commencé à faire la pute, en 79, tu t’es étonnée toi-même de l’immensité du fric que tu arrivais à ramasser. Aussi belle que toi, et pas conne, tu as vite compris les bonnes filières comme le sado-maso à la mode. C’était presque aussi bien que de gagner chaque année au loto. J’estime à quatre millions de francs lourds (400 briques) ton revenu annuel en francs actuels pendant cette époque.

Voilà ce qui te fait chier dans mes lettres, ce n’est pas les cours de piano de ta file Julia, c’est que je te dise la vérité en face de ce que tu as fait, de ce que tu fais, et de ce que tu es. Devant mes yeux d’amoureux que rien n’aveugle, au contraire ! , C’est pour toi, proprement insupportable. Voilà ce qui est insupportable, voilà ce qui va trop loin, c’est la vérité, tout simplement.

Je t’aime, je t’aime, je t’aime, je te veux sincèrement, je te pardonne tout, je m’en fous de tout, mais je t’aimerai toujours dans la vérité. Je ne veux pas te séduire, te raconter de beaux mensonges, je ne veux pas te trahir, ni toi ni moi, ni notre amour. Je t’aime en vérité, dans la vérité, sur toute la vérité. Il n’y a pas que toi dans l’affaire. Quand une société permet à des filles comme toi de ramasser de tels pactoles, on se demande bien ce qui pourrait les en empêcher. Je ne veux pas diminuer ta part de responsabilité, mais notre société de merde fait plus qu’inviter des filles comme toi à faire ce que tu as fait. Au nom de quoi refuserait-on 400 briques de revenu par an quand on a une vingtaine d’années ? Si j’avais été à ta place, je vois mal comment j’aurais résisté. Je ne me vois absolument pas refuser 400 briques tous les ans pour un boulot pas si difficile, quand même ! Mais si c’est faire la pute, je suis sûr que je l’aurais fait. Je veux que tu comprennes que je ne te condamne pas. Je t’aime, merde ! C’est autre chose ! Je suis obligé de te faire remarquer que faire la pute et vivre un amour, c’est incompatible. En faisant la pute, tu renonces obligatoirement à l’amour, au vrai, à la seule chose qui compte véritablement au monde ! Tes 400 briques de revenu, ils sont chèrement payés ! Ils te coûtent la privation de ta vie de femme amoureuse. Ils te coûtent plus que ta vie, ils te coûtent la seule raison de vivre d’une femme : l’amour d’un homme.

Voilà ce que je te mets sous les yeux dans mes lettres, voilà où je suis allé trop loin. Crois-tu que mon amour pour toi pouvait te cacher cela ? Tu crois que je t’aime comme une merde ? Je t’aime comme personne ne t’a jamais aimé, pauvre conne !, et comme personne ne t’aimera jamais. Je suis follement amoureux de toi, je préfèrerais crever que de te mentir, tu piges ? Tu peux me regarder avec tes yeux pleins de haine pour moi, ou même ne pas me regarder du tout, l’insupportable vérité est toujours là, tu t’es fait flouer dans ce marché à la con, et tu continues de te faire flouer. Ta vie amoureuse de femme ne vaut pas 400 briques, ni un milliard, ni le budget national ni quoi que ce soit. Tout l’or, tout le platine, tout l’argent, toutes les richesses du monde ne valent pas l’amour sincère d’un homme et d’une femme, et tu le sais ! Tu sais que tu es une conne. Tu m’en veux parce que je te le rappelle. C’est parce que je t’aime, tu comprends ça. Avant j’en n’avais rien à foutre, au contraire, cela m’arrangeait. Une belle pute comme toi, il n’y en a pas beaucoup. Je t’aimais bien en pute, je te le jure. Maintenant je te déteste en pute, parce que je t’aime. Depuis que je suis tombé amoureux de toi, je ne peux plus aimer la pute. Désolé ! Désolé d’être follement amoureux de toi ! Désolé d’être obligé de te dire la vérité à cause de l’amour que j’ai pour toi. Je persiste à vouloir croire que tu me comprendras, et, qu’un jour, au lieu de me détester comme tu le fais actuellement, tu m’aimeras encore plus de t’avoir dit tout ça et d’avoir enduré ta haine contre moi. Enfin... On peut toujours rêver !

Je t’aime, je t’aime, je t’aime, Patricia, ma chérie, mon chausson aux pommes (mignon le chausson aux pommes, non ? On te l’avait déjà dit que tu faisais penser à un chausson aux pommes ?), mon amour, mon aurore claire (j’ai pas dit mon matin calme, ne pas confondre !), mon énergie, mon espoir et mon désespoir, mon cœur de pierre dont je ne désespère pas de retirer la gangue pour dégager le diamant éclatant d’amour qui brille en toi, mon amour, mon adorée.

Michel.

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