L’entrevue de Patrick Dils, innocenté après 15 ans de prison,
au sujet de son livre Je voulais juste rentrer chez moi…
dans l’émission « Tout le monde en parle » de Thierry Ardisson
sur France 2, de la nuit du samedi 16 au dimanche 17 novembre 2002
(Sont cités parmi les invités par ordre d’apparition : Liane Foly, Bruno Solo et Yvan Le Bolloc’h.)
Thierry Ardisson : J’accueille maintenant Patrick Dils.
(Entrée sur fond musical hard rock lourd de Patrick Dils, moyennement grand, filiforme, légèrement dégingandé, qui va s’asseoir autour de la table parmi les invités à côté de Liane Foly face à Thierry Ardisson. Souriant, il serre la main de Liane Foly, plus vedette extrêmement belle que jamais, qui l’accueille en lui souriant très chaleureusement, et lui dit bonsoir. Il dit ensuite bonsoir aux autres invités.)
Thierry Ardisson : Bonsoir Patrick. (Faisant les présentations) Bruno solo, Yvan Le Bolloc’h (sourires également très chaleureux de Bruno solo et Yvan Le Bolloc’h), Liane Foly, Patrick Dils. Alors Patrick Dils, vous avez été condamné à la prison à perpétuité pour avoir avoué le meurtre de deux petits garçons, Alexandre et Cyril. C’était en 1986 à Montigny-lès-Metz et, quinze ans après, lors de votre troisième procès, après quinze ans de prison (il appuie sur ces derniers mots), les jurés vous ont pourtant reconnu innocent et vous ont acquitté. Vous racontez cette tragédie, qui vous a coûté votre jeunesse…
Patrick Dils (faiblement et en acquiesçant de la tête avec une douleur contenue) : Ouais.
Thierry Ardisson : dans un livre intitulé Je voulais juste rentrer chez moi… publié chez Michel Lafon. Paul Ferrer :
(Plan sur un doigt qui appuie sur une touche de clavier de synthétiseur sur laquelle est marquée « Promo : The Battle (la bataille) ». Son de trompettes. Plan sur un podium en forme de colonne terminée par un appui sur lequel repose un coussin doré où est exposé le livre de Patrick Dils sur un présentoir semi-vertical.)
Thierry Ardisson : Alors Je voulais juste rentrer chez moi…, le titre du livre amène directement à ce que vous dites lorsque vous avez été arrêté pour explique vos aveux. Vous avouez le double meurtre des enfants pour que l’inspecteur, en fait, tout simplement, vous laisse rentrer chez vous après trois jours et deux nuits de garde à vue pour retrouver votre papa et votre maman.
Patrick Dils : Ouais, tout à fait. Si vous voulez, ça c’est passé de la manière suivante : lorsque j’ai été arrêté le vingt-huit avril 1987, pour la troisième fois, la fois qui a été donc décisive, j’ai été entendu pendant de nombreuses heures et j’ai toujours dit la vérité ; et, dans la soirée, ma mère a téléphoné, donc au commissariat de police à Metz et a demandé à l’inspecteur Varlet si c’était une heure pour interroger un mineur et s’il ne pouvait pas plutôt l’interroger le lendemain matin (Thierry Ardisson acquiesce en hochant la tête), ça serait un peu plus convenable.
Thierry Ardisson (sur le dernier mot) : Mm.
Patrick Dils : Et, celui-là, vraiment énervé et pas content de la réaction de ma mère, a dit : « Ecoutez, Madame. Ici, c’est encore moi qui commande. De toutes manières, votre fils, y sera interrogé le temps nécessaire afin qu’il nous dise la vérité…
Thierry Ardisson (doucement) : Ouais.
Patrick Dils : et il ne sera pas tranquille avant. »
Thierry Ardisson (fortement) : Ouais.
Patrick Dils : Alors là, écoutez voir, lorsque… (Liane Foly se tourne pour tousser) ça faisait des heures que je disais la vérité.
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : Lorsque l’on entend un inspecteur dire à sa propre mère : « Il ne sera tranquille qu’à partir du moment où il dira la vérité »…
Thierry Ardisson : Mm… Ouais.
Patrick Dils : y’a une réaction qui se fait.
Thierry Ardisson : Ce que vous disait donc l’inspecteur, c’était : « Si tu racontes tout, tu pourras rentrer chez toi ».
Patrick Dils : Voilà. « Tu pourras rentrer chez toi…
Thierry Ardisson (sur la voix de Patrick Dils) : Voilà. C’était. Voilà.
Patrick Dils : Tu pourras aller travailler demain matin. »
Thierry Ardisson : Voilà. Sauf que le problème, c’est en cellule que vous êtes entré et que vous rentrerez chez seulement quinze ans plus tard.
Patrick Dils (en même temps que Thierry Ardisson) : Quinze ans plus tard, oui.
Thierry Ardisson : Autres raisons de vos aveux : les insultes, les brimades, les menaces de mort, dites-vous dans votre livre, de la part de ce que vous appelez avec une certaine ironie « les gardiens de la paix ». C’est-à-dire qu’ils vous ont forcé à avouer le meurtre des deux enfants ?
Patrick Dils : Ben, je dirais qu’ils m’ont amené. Vous savez…
Thierry Ardisson (sur la voix de Patrick Dils) : Ouais.
Patrick Dils : on pourrait considérer (lapsus pour comparer) ça à un entonnoir.
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : Y’avait qu’une sortie, y’en avait pas trente-six. Et tant qu’ils n’avaient pas obtenu ce qu’ils souhaitaient obtenir, j’aurais pas été tranquille.
Thierry Ardisson : Ouais. Alors c’est vrai aussi que de toute façon, chez vous, on avait beaucoup de respect pour les représentants…
Patrick Dils (sur la voix de Thierry Ardisson, en acquiesçant gravement de la tête et doucement) : Ah (traînant) oui !
Thierry Ardisson : de l’ordre, donc ça vous semblait naturel presque…
Patrick Dils : Bien sûr.
Thierry Ardisson : de faire ce que vous disaient…
Patrick Dils (sur la voix de Thierry Ardisson) : Ouais, c’était des adultes, ça représentait en plus l’autorité, tout ce que mes parents m’avaient inculqué.
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : Le respect des adultes donc, bien sûr, l’autorité ; des personnes âgées, donc effectivement…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : c’était compliqué un petit peu de faire autrement.
Thierry Ardisson : Ouais. Alors autre raison de vos aveux aussi, deux hommes avaient avoué avant vous, hein ? Ils avaient avoué successivement…
Patrick Dils : Ouais.
Thierry Ardisson : être les meurtriers des deux petits garçons avant de se rétracter sans plus de problème. C’est quand même une drôle de région là-bas, Montigny-lès-Metz, quand y’a deux enfants qui sont tués, y’a trois personnes innocentes qui avouent !
Patrick Dils : Et eux étaient majeurs !
Thierry Ardisson : Mm. (Un instant de silence.) Le problème, c’est que vous, on vous garde.
Patrick Dils : Eh ouais !
Thierry Ardisson : Alors contrairement à ce que vous pensez, effectivement, les policiers se rendent pas compte que vous mentez à ce moment-là. C’est-à-dire vous vous dites : « A un moment y vont comprendre que je raconte un mensonge ».
Patrick Dils : Je pense qu’ils ont dû douter de ma sincérité à partir du moment où il y a eu l’enquête de voisinage…
Thierry Ardisson : Mm.
Patrick Dils : et sans aucune arrière-pensée, sans aucune méchanceté, sans l’intention de nuire à la justice, lorsqu’on a demandé à ma mère si on avait vu ou entendu quelque chose, j’étais à côté d’elle dans les escaliers de la maison, et ben j’ai pas dit tout simplement ce que j’avais vu et entendu ce soir-là.
Thierry Ardisson : Mm.
Patrick Dils : Pourquoi ? J’avais pas eu l’intention de leur mentir mais uniquement parce que je ne pensais pas un seul instant à ce moment-là que ce que j’avais pu voir ou entendre aurait pu être déterminant ou capital…
Thierry Ardisson : Mm.
Patrick Dils : pour la suite des événements.
Thierry Ardisson : Ouais. (Un temps de respiration.) Alors je parlais de retrouver vos parents, votre envie répressible (mot non usité, seulement son contraire ; lapsus pour irrépressible) de rentrer à la maison, de quitter le commissariat. Et cette maison était importante pour vous parce que, pour vous, la cour de récréation, c’était un peu le cauchemar, hein ?
Patrick Dils (doucement) : Ah oui…
Thierry Ardisson : Il faut dire les choses…
Patrick Dils (doucement) : Non mais…
Thierry Ardisson : Patrick, vous étiez un peu le souffre-douleur de…
Patrick Dils : J’étais le souffre-douleur…
Thierry Ardisson : de la classe, hein ?
Patrick Dils : J’étais le souffre-douleur de la classe et, pour être tout à fait honnête, les deux seuls endroits où je me sentais vraiment très bien, il est évident que c’était dans ma famille, chez mes parents, et sur mon lieu de travail.
Thierry Ardisson : Ouais. Alors on vous appelait le « fil de fer » parce que vous êtes un…
Patrick Dils : « Fil de fer »…
Thierry Ardisson : un peu grand, oui.
Patrick Dils : Le « rouquin », le « canard » parce que j’avais une mauvaise démarche…
Thierry Ardisson : « Rambo » parce que vous êtes pas Rambo.
Patrick Dils (presque en même temps et juste un peu après Thierry Ardisson) : « Rambo » parce que je suis tout le contraire.
Thierry Ardisson : Oui, oui.
Patrick Dils : Enfin j’ai eu droit à tous les styles de brimade et on a essayé par tous les moyens de me faire craquer.
Thierry Ardisson : Donc les garçons se moquent de vous parce que vous avez un grand nez, vous êtes grand, vous avez une drôle de démarche, vous êtes un peu maladroit, un peu gauche, hein ?
Patrick Dils : Peut-être un peu gauche, tout à fait
Thierry Ardisson : Ouais. Et vous, vous ripostez pas ?
Patrick Dils : Non. Je suis toujours parti du principe : quand ils en auront marre, ils arrêteront.
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : Je suis pas partisan de la violence, et puis…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : pour moi, la violence engendre que la violence donc quand ils en auront marre, ils arrêteront…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : tout simplement.
Thierry Ardisson : Et donc cette habitude que vous aviez prise de pas riposter finalement dans la cour de l’école, c’est la même attitude, c’est tout ce que je veux dire là…
Patrick Dils : Voilà !
Thierry Ardisson : c’est la même attitude que vous avez en face de…
Patrick Dils : Effectivement.
Thierry Ardisson : l’inspecteur de police, donc.
Patrick Dils : Tout à fait.
Thierry Ardisson : Ouais. Donc vous vous laissez faire un peu, un petit peu comme dans la cour, quoi !
Patrick Dils (sur la fin de phrase de Thierry Ardisson) : Ouais.
Thierry Ardisson (doucement) : Ouais.
Patrick Dils : Ouais, c’est tout simplement ça. On va dire qu’y’a… j’étais vraiment un enfant qui sortait d’un cocon familial vraiment bien construit, bien prenant, et j’étais tout le contraire, mais alors vraiment tout le contraire d’un enfant des banlieues.
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : Parce que si j’étais vraiment sorti d’une banlieue, croyez-moi…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : devant l’inspecteur Varlet, moi, je lui retournais son bureau et puis…
Thierry Ardisson : Ouais, ouais
Patrick Dils : tu me feras pas dire ce que j’ai pas envie de dire.
Thierry Ardisson : Ouais, ouais
Patrick Dils : Mais bon, j’étais euh…
Thierry Ardisson : Un peu trop doux…
Patrick Dils : Trop doux, trop gentil…
Thierry Ardisson : un peu trop bien élevé.
Patrick Dils : Voilà, trop bien élevé.
Thierry Ardisson : Oui, pis y’avait, donc comme on disait, chez vos parents qui sont des gens modestes, hein…
Patrick Dils (très faiblement) : … (pas compris).
Thierry Ardisson : y’avait un respect, dites-vous, des grands de ce monde…
Patrick Dils : Voilà.
Thierry Ardisson : les gens qui sont inaccessibles, vous dites.
Patrick Dils : Bien sûr.
Thierry Ardisson : Y’avait une espèce de complexe par rapport aux…
Patrick Dils : Oui, tout à fait.
Thierry Ardisson : classes sociales plus élevées. Vous, vous étiez un petit peu, on peut dire dans les jupes de votre maman. Vous faisiez de la…
Patrick Dils : Non, mais n’ayons pas peur des mots, c’est la vérité…
Thierry Ardisson : Oui.
Patrick Dils : effectivement, oui-oui.
Thierry Ardisson : Vous faisiez de la philatélie, les maquettes (il sourit).
Patrick Dils (souriant) : Ah ! la philatélie, les maquettes, un monde particulier, on va dire un monde…
Thierry Ardisson : Mm.
Patrick Dils : que je m’étais créé.
Thierry Ardisson : Oui.
Patrick Dils : Puisque j’étais un peu rejeté par rapport aux autres…
Thierry Ardisson : Oui.
Patrick Dils : il me fallait bien un univers.
Thierry Ardisson : Bien sûr.
Patrick Dils : Alors cet univers, il était artificiel.
Thierry Ardisson : Vous étiez dans une espèce de cocon comme ça qui…
Patrick Dils (assez faiblement) : Oui … (pas compris).
Thierry Ardisson : Alors tellement enfant à sa maman que vous étiez vierge à l’époque, hein, donc. Vous êtes entré en prison vierge et vous l’êtes encore…
Patrick Dils : Effectivement, oui.
Thierry Ardisson : Vous dites : « Je suis vierge car je refuse de considérer le viol dont j’ai été victime en prison comme une première fois ».
Patrick Dils : Effectivement.
Thierry Ardisson : Ça n’a rien à voir…
Patrick Dils : Ah non !
Thierry Ardisson : avec l’acte d’amour, dites-vous…
Patrick Dils (faiblement, pour lui-même) : … (pas compris).
Thierry Ardisson : que vous rêvez connaître un jour.
Patrick Dils : Tout à fait. Je crois au coup de foudre. Je crois que l’amour, c’est quelque chose qui se mérite, quelque chose qui se respecte, c’est quelque chose de beau. Et, vous savez, quand on a pu patienter quinze ans…
Thierry Ardisson : Oui.
Patrick Dils : on peut patienter six mois…
Thierry Ardisson : Oui.
Patrick Dils : et on peut encore patienter un petit peu plus.
Thierry Ardisson : Oui, oui. Alors avant ce viol, qui est important parce que ça démontre au-delà de votre cas personnel la façon dont les choses se passent en prison…
Patrick Dils : C’est terrible.
Thierry Ardisson : c’est absolument…
Patrick Dils (faiblement) : … (pas compris).
Thierry Ardisson : épouvantable quand on lit votre bouquin, avant ce viol donc y’a eu, toujours comme l’humiliation dans la cour de récréation, y’a eu des problèmes avec les codétenus parce que, effectivement, je dis pas « Faut s’mettre à leur place » mais enfin, pour eux, vous êtes quand même un meurtrier d’enfant.
Patrick Dils : Ah mais tout à fait !
Thierry Ardisson : Oui.
Patrick Dils : Vous savez le meurtre d’enfant, c’est… parce qu’il faut savoir que dans une prison y’a une hiérarchie sociale et… oui, le meurtre d’enfant, c’est ce qu’il y a de plus bas…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : c’est ce qu’il y a de plus détestable, euh… de plus répréhensible au sein même des murs, hein.
Thierry Ardisson : Mm.
Patrick Dils : Donc non seulement je devais affronter la justice, je devais affronter…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : le monde pénal mais également les codétenus.
Thierry Ardisson : Les codétenus qui se privaient pas de vous frapper.
Patrick Dils (faiblement) : … (pas compris).
Thierry Ardisson : Alors vous dites « avec un torchon mouillé ou alors avec une chaussette…
Patrick Dils (faiblement) : … (pas compris).
Thierry Ardisson : dans laquelle ils mettaient une savonnette ».
Patrick Dils (faiblement) : … (pas compris).
Thierry Ardisson : Oui.
Patrick Dils : En général les gens qui sont en prison pour des délits vraiment crapuleux…
Thierry Ardisson : Mm.
Patrick Dils : eh ben, ils ne supportent pas leurs propres délits. Alors pour justement essayer entre guillemets « de le supporter », eh ben ils essaient de trouver pire qu’eux…
Thierry Ardisson : Oui.
Patrick Dils : et puis justement de se venger pour oublier leurs propres problèmes.
Thierry Ardisson : Oui. Vous dites, Patrick Dils, « avoir eu honte de votre manque de courage face à ces corrections ».
Patrick Dils : Ben oui, parce que j’aurais aimé avoir la force, le courage d’avancer, le courage de riposter…
Thierry Ardisson : Oui.
Patrick Dils : le courage de dire : Stop ! maintenant ça suffit !…
Thierry Ardisson : Mm.
Patrick Dils : Il faut réagir…
Thierry Ardisson : Mm.
Patrick Dils : Mais, là encore, c’est dû à une éducation, c’est dû à mon caractère, et on change pas le caractère d’une personne en un (il fait le bruit d’un claquement avec ses doigts) claquement de doigt.
Bruno Solo(qui a fait signe de la main à Thierry Ardisson pour indiquer qu’il voulait demander quelque chose) : Vous aviez, excusez-moi, vous aviez pas trouvé un ami sur lequel vous appuyer ? Parce qu’il y a aussi une certaine solidarité qui peut s’installer parfois dans la prison, quelqu’un qui est plus attentif, qui peut comprendre lorsque vous lui avez parlé et tout, de votre problème. Est-ce que vous vous êtes confié en prison en disant : Je suis innocent ? Parce que vous l’avez clamé…
Patrick Dils : Je n’ai fait que ça, et effectivement…
Bruno Solo : Et vous n’avez pas rencontré quelqu’un qui ?…
Patrick Dils : j’ai pu…
Bruno Solo : parfois ?
Patrick Dils : rencontrer des gens qui ont été extrêmement serviables, vraiment gentils…
Bruno Solo : Mm.
Patrick Dils : des gens qui ont voulu se substituer au rôle de père et dire : « Maintenant, tu le laisses tranquille, le môme ! Ce qu’il a fait, c’est pas à toi d’en juger. Le temps qu’il sera avec moi, tu le racketteras pas ! tu le toucheras pas !…
Bruno Solo (très doucement) : … (plusieurs mots inaudibles. Les derniers semblent être : correction, un moment).
Patrick Dils : sinon c’est à moi que tu auras affaire ! ».
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : Heureusement qu’il y a eu des gens comme ça…
Bruno Solo (doucement et sur la voix de Patrick Dils, après s’être gratté le crâne au-dessus de l’oreille droite) : Ouais, bien sûr.
Patrick Dils : Et là, je leur tire mon chapeau parce qu’il y en a encore certains qui sont aujourd’hui en prison, d’autres qui sont sortis…
Bruno Solo : Mm-mm.
Patrick Dils : Parce qu’il faut savoir que la prison, c’est un peu comme une balance Robertval (note du transcripteur : la balance dite de Robertval est la balance classique avec le couteau, le fléau et les deux plateaux), vous avez les très mauvais moments ; là, je peux en parler en connaissance de cause ; mais, heureusement pour moi et puis pour mes proches qui ont toujours cru en moi, y’a eu des moments extraordinaires. Et c’est ces moments extraordinaires, pardon, qui ont permis de garder les deux poids de la balance…
Bruno Solo (doucement) : Mm-mm.
Patrick Dils : à peu près à juste équilibre (il fait deux plateaux de balance s’équilibrant avec ses mains).
Thierry Ardisson : Ouais. Alors faut dire que quand vous êtes victime de brimades ou de corrections de la part de vos codétenus, les matons sont jamais là, hein ? Y sont jamais là quand il faut, eux.
Patrick Dils : Vous savez, je pense que c’est un peu comme la police, hein…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : quand on a besoin d’elle, elle est pas là, pis quand on n’a pas besoin d’elle…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : elle est là.
Thierry Ardisson : Ouais. En revanche, les matons, ils sont toujours là pour mater, hein ? Dans les douches, quand vous prenez votre douche, y’en a toujours un qui se met au milieu comme ça, qui regarde un peu c’qui se passe, hein ?… ouais.
Patrick Dils : Y’a pas qu’au niveau des douches, hein…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : Vous savez, l’œilleton, on dit que c’est pour la sécurité du détenu mais aussi c’est un bon moyen pour le voyeurisme…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : On traite très souvent le détenu d’être pervers, avant de dire que c’est un homosexuel…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : mais, vous savez, ils s’en passe des belles de l’autre côté de l’œilleton, hein.
Thierry Ardisson : Ouais. Les fouilles, aussi, vous parlez des fouilles. Y sont très zélés, hein, pour faire les fouilles ?
Patrick Dils : Ah oui ! Les fouilles sont vraiment particulières au niveau des parloirs…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : Heureusement, elles ont évolué ces dernières années. Mais, en dix ans, à Toul, j’ai eu affaire à certains surveillants qui me connaissaient, aucun problème, connaissant mon parcours : « Bon, allez, vas-y, Dils, va au parloir…
Thierry Ardisson : Mm.
Patrick Dils : passe un bon moment », et puis alors d’autres, bon, la fouille à corps normale, pis d’autres…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : écoutez, moi, j’ai des yeux pour regarder, les yeux, on voyait bien là où ils s’arrêtaient…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : donc avec une lourde insistance. C’est terrible parce qu’on se sent humilié. T’attends quoi, là ? qu’est-ce que tu veux ?
Thierry Ardisson : Mm.
Patrick Dils : Et, là encore, on peut rien dire parce que, eux, y z’ont l’uniforme et nous, on l’a pas.
Thierry Ardisson : Ouais. C’est terrifiant.
Patrick Dils (sur la voix l’un de l’autre) : On l’a pour …
Thierry Ardisson (sur la voix l’un de l’autre) : Votre livre, votre livre est terrifiant d’abord…
Patrick Dils (sur la voix l’un de l’autre) : C’est… c’est… c’est toujours…
Thierry Ardisson (sur la voix l’un de l’autre) : Oui…
Patrick Dils (sur la voix l’un de l’autre) : On est toujours en train de se remettre en question, on est toujours obligé de se justifier…
Thierry Ardisson : Mm.
Patrick Dils : toujours en train d’expliquer alors que on dit : « Oui, la cour d’assise vous jugera ou la correctionnelle vous jugera ». Non…
Thierry Ardisson : Mm.
Patrick Dils : c’est continuellement, c’est tous…
Thierry Ardisson : Ouais…
Patrick Dils : les jours.
Thierry Ardisson : ouais. Et c’est là qu’y’a cette date assez importante finalement, on va le voir, mais très dramatique pour vous, c’est le viol, quoi ! C’est-à-dire que, finalement, votre premier contact sexuel dans votre vie…
Patrick Dils (faiblement) : Ouais…
Thierry Ardisson : ça a été ce viol. Et c’est à partir de là que vous décidez de réagir, de relever la tête et de plus rien accepter.
Patrick Dils : Je vous dirai que c’est la goutte qui a fait déborder le vase, mais y’a d’autres choses bien avant. C’est-à-dire que, au départ, quand je suis arrivé en prison, par rapport à toutes les brimades que j’avais pu subir à l’école et puis bien ailleurs, j’suis tombé avec un codétenu qui m’a une fois vu en sortant de la douche dans la cellule en train de me regarder le visage dans le miroir et puis en train de ne pas être satisfait de mon propre visage. Il m’a dit : « Ecoute, Patrick, arrête de déconner, là ! parce que t’es en train de me prendre la tête, ça va pas, là »…
Thierry Ardisson : Mm.
Patrick Dils : Je lui ai dit : « Ecoute, j’t’ai rien fait ». Il me dit : « Non, mais ça fait au moins dix minutes que t’es dehors (incertain car pas vraiment compris) devant le miroir, là. T’as des boutons, t’as des boutons. Qu’est-ce que tu veux ? t’es…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : « Tu te plais ou tu te plais pas ? — Ben non, je me plais pas. J’m’aime pas ». Et puis alors là il me dit : « Tu sais, pour pouvoir aimer les autres, il faut d’abord que tu puisses t’aimer toi-même ».
Thierry Ardisson : Mm.
Patrick Dils : Et j’arrivais pas très bien à saisir ce qu’il voulait me faire comprendre. Cette personne faisait de la peinture. Et puis il m’a amené dans la salle de peinture. Il m’a dit : « Ecoute voir, qu’est-ce que tu vois sur ce tableau, là ? — Ben, écoute, moi, je vois ça, ça et puis ça ». Et y’m’dit : « Tu vois, là, moi, je regarde la même toile que toi et ben je vois pas du tout la même chose que toi. (Plan de la caméra sur Bruno Solo qui acquiesce de la tête.) Alors, l’être humain, c’est un peu comme une toile. Toi, tu vas me plaire, la personne qui sera à côté de moi, tu ne lui plairas pas.
Thierry Ardisson : Oui.
Patrick Dils : « Alors, à partir du moment où t’as pris conscience de ça, eh ben, t’as fait un grand pas ! »
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : Et là, ça a été le premier déclic.
Thierry Ardisson : Le premier pas (incertain car pas vraiment compris).
Patrick Dils : Oui, bien sûr, y’en a eu beaucoup.
Thierry Ardisson : Alors bon, le viol, vous racontez l’histoire. Un scénario classique et après avoir fait son truc, quoi, le mec vous laisse là !
Patrick Dils : Ah ! il me laisse planté en milieu de la cellule.
Thierry Ardisson : A quatre pattes.
Patrick Dils : A quatre pattes et puis vraiment humilié, honteux… J’étais là, je pouvais pas réagir, j’avais les larmes aux yeux, j’étais souillé, j’étais meurtri dans ma chair. Et, croyez-moi, très honnêtement, si on ne m’avait pas forcé à la cour d’assise de Lyon d’en parler, je n’en aurais jamais parlé…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : Si je dis tout ça concrètement dans le livre, c’est pour que ça soit dit une fois pour toute, qu’on comprenne bien qu’en prison, ben, y se passe pas toujours des choses très catholiques !…
Thierry Ardisson : Mm.
Patrick Dils : qu’il y a des choses qui pourraient être évitées et que, malheureusement, les gens ferment les yeux. Ça, c’est honteux et inadmissible. Et que, ben, ce qui est arrivé à moi, y faut plus que ça arrive à un autre…
Liane Foly : Mm.
Patrick Dils : parce que, vous savez, quand une femme se fait violer, elle a honte, elle veut pas en parler, elle se sent sale. Alors (il hausse le ton) imaginez un seul instant quand cette chose abominable arrive à un homme, mais c’est le ciel qui lui tombe sur la tête. C’est… je sais… encore aujourd’hui, alors que ça fait plus de dix ans que ça m’est arrivé, c’était comme si c’était hier. Je peux pas… c’est, c’est… écoutez… c’est terrible… c’est terrible, il en restera des traces, peuh ! je pense, à vie parce que ça fait mal. Y’m’ manque quelque chose.
Thierry Ardisson : Alors je veux rapprocher cette scène que vous décrivez dans votre bouquin d’une phrase de vous. Vous dites : « Je veux devenir un homme digne qui marche la tête haute, qui tient la main de ses enfants dans la rue et qui sourit à sa femme ».
Patrick Dils (doucement et souriant) : Ouais.
Thierry Ardisson (souriant) : On voit très bien l’opposition des deux images.
Patrick Dils (souriant) : Ouais (sourire de Liane Foly).
Thierry Ardisson : Voilà ! Après, c’est la libération. Première sensation de liberté, c’est très… à quoi ça tient ? c’est le moelleux des coussins d’une voiture, hein ?
Patrick Dils (souriant) : Oui, c’est le… Je me suis effondré dans le fauteuil (plan de la caméra sur Liane Foly souriante à coté de lui)...
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : pas l’habitude d’être assis sur un canapé, des choses très simples : les étoiles…
Thierry Ardisson : Mm.
Patrick Dils : le vent…
Thierry Ardisson : Mm.
Patrick Dils : les odeurs.
Thierry Ardisson : Oui, vous allez au bord de l’eau pour regarder l’eau couler.
Patrick Dils : Oui, j’ai l’impression que les gens ne savent plus apprécier la juste valeur de cette liberté qui est tellement belle, qui est magique, qui est… Vous savez, il peut pleuvoir, il peut neiger, il peur venter, il peut… y peut arriver n’importe quoi, moi, je serai toujours content…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : Vous écoutez les gens : y va faire beau, y vont se plaindre ; y va pleuvoir, y vont se plaindre ; y’a les impôts à payer, y vont se plaindre. Mais quand est-ce qu’ils seront heureux ?
Thierry Ardisson : Mm.
Patrick Dils : Pour être heureux, je pense qu’il faut qu’ils soient pleinement satisfaits. Et puis, surtout, c’qui est important à dire, je pense que c’est que moi, malheureusement, j’ai été dans une véritable prison, y’avait de vrais murs, y’avait de vrais barreaux, de vraies clefs, de vrais bruits, de vraies violences, mais, contrairement à tout ça, je pense qu’il y a au moins cinquante pour cent de la population qui se met elle-même dans une prison virtuelle (Thierry Ardisson acquiesce de la tête), et là, ça c’est grave…
Thierry Ardisson : Très juste ce que vous dites.
Patrick Dils : c’est très très grave parce que elle se contrôle plus elle-même…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : elles sont bouffées par la vie, et là, c’est dramatique, c’est dramatique...
Thierry Ardisson : Y’a…
Patrick Dils : La vie elle est tellement belle !
Liane Foly : Comment vous avez le courage de tenir toutes ces… tout ce qui vous est arrivé, tout ça. Vous êtes croyant ? Vous avez des choses profondes en vous qui vous ont fait tenir ?
Patrick Dils : Oh là ! Vous savez, la religion, c’est quelque chose qui m’a détruit en prison…
Liane Foly : Ah bon !
Patrick Dils : au niveau de la cour d’assise, parce que ça été très très mal interprété au niveau d’une phrase. Lorsqu’on me demande si je suis croyant, je dis « oui ». Avez-vous quelque chose à vous faire pardonner ? Je dis « oui » en pensant à tous les mensonges que j’avais pu dire et sur le procès verbal, ça été tapé le mot « meurtre ». Donc ça, c’est…
Liane Foly : Non mais est-ce que ça, vous, ça vous a aidé ? au profond ? au plus profond ?
Patrick Dils : Si vous me permettez, je vais terminer.
Liane Foly Oui, oui, bien sûr.
Patrick Dils : Je vous dirai simplement qu’effectivement, j’ai une certaine croyance…
Liane Foly (faiblement) : Mm-mm.
Patrick Dils : je suis convaincu qu’il existe quelque chose…
Liane Foly (faiblement) : Mm-mm.
Patrick Dils : qu’il y a une force divine mais, tout simplement, si je suis aujourd’hui ici devant vous, c’est avant tout par rapport à moi-même, par rapport à ma propre innocence, par rapport à mes parents, par rapport à mon frère Alain, par rapport à mes avocats, par rapport à mes comités de soutien, par rapport à toux ceux qui ont cru en moi et qui aujourd’hui m’aiment profondément. C’est pour eux que je me suis battu. C’est évidemment pour moi d’abord parce que j’étais innocent…
Thierry Ardisson (faiblement) : Ouais.
Patrick Dils : mais eux m’ont donné cette énergie, également, de me battre.
Thierry Ardisson : Votre mère, extraordinaire, votre mère.
Patrick Dils (souriant) : Ma mère, c’est un roc, c’est…
Thierry Ardisson : Extraordinaire.
Patrick Dils : C’était.
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : Parce qu’elle a complètement changé à l’heure actuelle, elle est devenue, elle a fondu, elle est devenue, pfft !
Thierry Ardisson : Oui, y’a le contrecoup, maintenant, oui.
Patrick Dils : Y’a le contrecoup.
Thierry Ardisson : Y’a le contrecoup mais enfin vous savez que votre mère a dit : « Si mon fils était coupable, je l’aurais emmené moi-même à la police et après je me serais suicidée ».
Patrick Dils : Là, ça a jeté un froid dans la cour d’assise et on a bien vu que c’était quelque chose qui n’était pas préparé…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : c’était une triste réalité, hein.
Thierry Ardisson : Alors voilà ! Le grand moment aussi. Donc y’a cette première sensation de liberté, donc les coussins de la voiture, ça a l’air de rien mais bon ! Et puis ensuite vous retournez dans votre maison…
Patrick Dils (souriant) : … (il pouffe légèrement)
Thierry Ardisson : la maison familiale à Montigny-lès-Metz, et là vous retrouvez, vous retrouvez les timbres, vous retrouvez les puzzles, vous retrouvez les maquettes…
Patrick Dils : Je retrouvais tout ce que j’avais laissé quinze ans…
Thierry Ardisson : seize ans après.
Patrick Dils : seize ans après.
Thierry Ardisson : L’odeur de craie, l’odeur de colle…
Patrick Dils : Voilà !
Thierry Ardisson : seize ans après, vous retrouvez tout.
Patrick Dils : C’est… on va dire que les premières réactions, on aurait pu éventuellement me comparer à un petit chiot…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : qui…
Thierry Ardisson : Ouais, ouais.
Patrick Dils : va courir dans toutes les pièces, tellement content de retrouver quelque chose qu’il a connu ou quelque chose de tout nouveau qui est très important pour lui (on entend comme quelqu’un pouffer). Bon, ça peut faire sourire…
Thierry Ardisson : Non, c’est pas le cas, mais attendez…
Bruno Solo : Non, non.
Patrick Dils : mais je pense que c’est bien représentatif parce que ça m’a tellement manqué, j’y ai tellement rêvé…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : comme a cette liberté…
Thierry Ardisson : Oui.
Patrick Dils : Vous savez, je dirai que tout au long de ce drame qui a duré quinze ans, y’a eu une première victoire, c’est quand la cour de cassation a pris la grande décision de casser la décision de la cour d’assise de la…
Thierry Ardisson : Mm.
Patrick Dils : Moselle en 89 et de me donner une nouvelle chance pour une prochaine cour d’assise. Ça, c’est la première victoire. La seconde victoire et la plus belle pour tous ceux qui ont cru en moi, ça été bien évidemment l’acquittement et…
Thierry Ardisson : Troisième procès !
Patrick Dils : Au troisième procès. Je dirai honnêtement, en ce qui me concerne, ça a été une victoire, certes…
Thierry Ardisson : Mm.
Patrick Dils : mais j’ai pas sauté de joie au plafond..
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : j’ai pas été aussi heureux que tous ceux qui ont cru en moi l’ont été pour moi…
Thierry Ardisson : Ouais.
Bruno Solo : Mm.
Patrick Dils : tout simplement parce que, si vous voulez, je récupérais c’qu’on m’avait volé quinze ans plus tôt et qu’on me rendait, c’était pour moi légitime, c’était juste…
Thierry Ardisson : Bien sûr, bien sûr…
Patrick Dils : c’était normal…
Thierry Ardisson : ben oui !
Patrick Dils : donc j’avais pas à sauter au plafond…
Thierry Ardisson : Tout à fait.
Patrick Dils : par contre, la troisième et la plus belle des victoires, c’est quand je saurai qu’est-ce qui s’est passé sur ce talus le 28 septembre 1986 et pourquoi on a enlevé la vie à ces deux petites victimes qui ne souhaitaient qu’une chose : vivre, grandir et réussir comme moi leur vie.
Thierry Ardisson : Ouais. D’ailleurs, effectivement, quand vous retournez à Montigny-lès-Metz, vous allez sur ce talus. C’est-à-dire qu’on vous dit : « Mais enfin, tu vas pas aller là ? » et dis : « Mais pourquoi j’irais pas, j’ai rien…
Patrick Dils : J’ai rien à me reprocher.
Thierry Ardisson : j’ai rien à me reprocher, je peux aller voir l’endroit où ça s’est… »
Patrick Dils : La rue Vénizélos, c’est comme la rue Pont-à-Mousson…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : c’est comme…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : l’avenue des Champs Elysées, c’est une rue comme les autres.
Thierry Ardisson : Qui les a tués ces mômes ?
Patrick Dils : Ah ! Là, j’peux pas vous répondre. Je n’en sais rien.
Thierry Ardisson : Francis Heaulme ?
Patrick Dils : Ah ! Je m’permettrais jamais de dire Francis Heaulme est l’auteur des faits pour la bonne et simple raison qu’ayant passé quinze ans en prison et ayant été innocent de ce drame terrible et atroce, je ne peux pas me permettre d’accuser quelqu’un, ça serait trop dramatique.
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : Maintenant, à la justice...
Thierry Ardisson : Oui.
Patrick Dils : de faire son travail !
Thierry Ardisson : Oui.
Patrick Dils : Et surtout, j’espère que cette justice ne mettra pas quinze ans pour trouver la vérité parce que si moi je veux savoir ce qui s’est passé, j’estime que les parents méritent encore plus que moi de savoir la vérité afin qu’ils puissent enfin faire le deuil de leurs deux enfants et espérer survivre parce qu’on ne vit pas à un drame pareil.
Thierry Ardisson : Alors, Patrick Dils, je ne sais pas si, vous disiez : « Je sais pas si je suis croyant », en tous les cas vous êtes chrétien, je peux vous le dire…
Patrick Dils : Chrétien, tout à fait.
Thierry Ardisson : parce que vous pardonnez aux parents des deux petites victimes qui continuent à dire que c’est vous le coupable…
Patrick Dils : Tout à fait.
Thierry Ardisson : et vous, vous avez cette charité chrétienne de dire : « Ben ! finalement, je comprends qu’ils pensent ça. Je leur en veux pas...
Patrick Dils (sur la voix de Thierry Ardisson et faiblement) : … (pas compris).
Thierry Ardisson : C’est pas de leur faute, y ont souffert. » Et c’est beau parce qu’ils continuent à vous accuser.
Patrick Dils (faiblement et désemparé) : Oui… je…
Thierry Ardisson : Quatorze ans qu’ils vous haïssent et, aujourd’hui, on leur dit de changer de coupable et… c’est difficile.
Patrick Dils : Bien sûr.
Yvan Le Bolloc’h : Excusez-moi, Thierry. De quelle façon la justice compte réparer son erreur à votre endroit ?
Patrick Dils (riant légèrement) : Ah !… Ecoutez, là je suis obligé de sourire mais avec un sourire très jaune et très narquois, très dur, parce que la justice pourra faire ce qu’elle veut à mon égard, qu’elle me donne tout l’or du monde ou qu’elle me donne le franc symbolique, honnêtement, les quinze ans qui se sont écoulés, là, vous savez, c’est comme une cigarette : c’est parti en fumée, c’est du consumé et y’a plus rien qui me rendra ces quinze ans.
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : Donc…
Thierry Ardisson : Mais c’est-à-dire… Pardon, mais je peux dire à Yvan, des gens qui ont été victimes d’erreur judiciaire comme Patrick Dils reçoivent quatre cents mille francs, trois cents mille francs, cinq cents mille francs, cent cinquante mille francs. J’veux dire c’est pas des sommes qui valent quinze ans de la vie de quelqu’un…
Yvan Le Bolloc’h et Bruno Solo (presque ensemble) : Mm, mm, bien sûr…
Thierry Ardisson : de toute façon.
Bruno Solo : Pas une, pas une somme qui vaudrait ça de toute façon.
Thierry Ardisson : Non, y’a aucune somme qui le vaut mais enfin, dans tous les cas, ce sont de très petites sommes. (Reprenant avec Patrick Dils.) Là, ce soir, là, vous êtes bien, là, ça va ?
Patrick Dils : Extrêmement heureux, heureux de vivre…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : heureux de pouvoir faire partager mon expérience…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : malheureusement ma triste expérience de la vie, et puis, comme j’l’ai également, j’ai pu le confier, bon, là, c’est encore un peu tôt parce que ça fait à peine six mois que je suis redevenu un homme libre…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : et aussi honnête que vous, je dirai, c’est que, quand les problèmes matériels seront réglés…
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : eh ben, je compte faire du social.
Thierry Ardisson : Ouais.
Patrick Dils : Je compte mettre à profit, encore une fois, cette triste expérience dans les écoles primaires pour faire prendre conscience aux enfants que la liberté, c’est quelque chose de magique, qu’il faut en prendre soin, qu’il faut faire très attention, et un côté beaucoup plus, je dirai plus fort, c’est aller dans les écoles de magistrature…
Thierry Ardisson : Mm.
Patrick Dils : les écoles de police
Et là, j’ai oublié de retirer la cassette du magnétoscope après avoir fait cette pause, ce qui fait que la fin a été écrasée par la programmation d’enregistrement suivante. Je vous jure qu’il ne manque pas grand-chose. Ne me disputez pas ! Tout le monde peut faire une bêtise.
Transcription de Paul Vannieuwenhuyze.