LÆTITIA
Roman
par
Robert-Henri Lefort
Première partie
M. Michel ROMAIN |
Lætitia |
23, rue du Jour
91230 Yerres
Tél. 06.84.52.24.07
Lætitia chérie,
Je veux d’abord te présenter mes excuses pour ne pas être venu te voir depuis si longtemps. C’est que je n’ai vraiment plus d’argent. La vérité est que je suis dans une situation financière on ne plus basse puisque que je vis à l’aide du RMI et des allocations logement. Je veux que tu saches que c’est la seule raison pour laquelle je ne suis pas allé vers toi depuis des mois. Je n’ai sûrement aucune importance pour toi, je ne suis probablement qu’un client un peu fou comme tous ceux que tu vois, et auxquels il faut que tu prennes bien garde de ne pas t’attacher sous peine de devenir folle à force de te faire arracher le cœur.
La raison qui me fait t’écrire, c’est pour te dire que je pense souvent à toi, maintenant comme depuis des années. J’ai pensé aussi que tu pouvais être comme moi dans une grande solitude. Il fut un temps où je gagnais pas mal d’argent et où j’étais très seul. Bien sûr, on est moins seul quand on a de l’argent car il y a toujours la compagnie de ceux que l’on fait vivre. En ce qui me concerne, j’ai perdu cette compagnie, je n’entretiens plus personne. Heureusement pour toi, tu as ta fille. J’espère qu’elle se porte bien et qu’elle te donne toujours autant de bonheur, car tu as sûrement autant besoin d’elle qu’elle a besoin de toi.
Mais je sais que tu es aussi une fille très différente des autres, et avec la vie que tu mènes, il se peut que tu sois aussi très seule. C’est pour cela que je t’écris, pour te dire que je t’aime, ma Lætitia adorée, que je suis toujours amoureux de toi, qu’il ne se passe pratiquement pas une journée sans que je pense à toi, et cela depuis des années. Je ne veux rien attendre de toi, je ne veux pas te casser les pieds, t’importuner, je ne veux pas venir t’ennuyer et t’empêcher de mener ta vie comme tu le veux. Seulement, je me suis dit que ce serait bête que tu aies envie de me voir et que tu ne saches même pas où me joindre. Je me suis dit que tu pouvais avoir besoin de compagnie, de quelqu’un à qui parler, de quelqu’un qui soit honnête envers toi. Je t’aime, Lætitia, je t’aime, je t’aime, c’est incroyable comme je t’aime. Je t’aime au point de n’avoir même jamais été gêné de te dire que j’avais envie d’être attaché et d’être fouetté par toi. Et je t’aime de l’avoir fait, si différente des autres filles, bien que j’eusse voulu être fouetté encore beaucoup plus fort et beaucoup plus longtemps. Je t’aime aussi d’avoir envie de t’attacher et de te fouetter, bien plus encore que de l’être par toi. Mais pour cela, il faut que ce soit toi qui me le demandes, ce n’est pas quelque chose qui vaut la peine d’être payé lorsqu’on est amoureux de la fille. J’ai fouetté d’autres filles que j’ai payées. J’en garde un bon souvenir, et je sais que plusieurs d’entre elles aussi. Je suis déjà tellement amoureux de toi que, même si j’avais l’argent, je ne prendrais pas le risque de te payer pour ça, car je ne pourrais plus penser à autre chose qu’à toi, je deviendrais tellement amoureux de toi que des relations basées sur l’argent me seraient insupportables, trop amères.
Excuse-moi de te parler de cela, je ne voudrais pas passer pour un obsédé à tes yeux. Je tiens à toi au point de pouvoir te voir sans aucune relation sexuelle. Ta seule présence est déjà le sexe même, tu es la femme en personne. Te voir, te sentir, discuter avec toi, faire des courses avec toi, aller acheter des spaghettis ou des fruits avec toi. Etre avec toi me ravirait déjà entièrement, le reste n’a qu’une importance secondaire. Mais je sais que cela fait partie de ta vie, et aussi de la mienne. Je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime comme tu es. Une fois, je parlais avec toi en te caressant, c’était il y a longtemps je t’ai parlé de te fouetter et j’ai vu tes seins se dresser comme je ne l’avais jamais vu. Le prix que tu demandais était bien trop élevé pour moi, et puis je ne voulais pas faire ça avec toi dans ce contexte, car je savais que j’allais être encore plus fol amoureux de toi, et que j’en souffrirais trop après. Après être monté la dernière fois avec toi, j’ai pensé que vu l’aisance et le talent avec lequel tu m’avais fouetté, et vu aussi l’entente qui pourrait être une certaine complicité, j’ai pensé qu’entre temps (il faut dire que nos rapports sont assez éloignés, hélas !) tu avais certainement dû t’initier et te faire fouetter. J’aurais voulu te demander si tu avais déjà été fouettée par quelqu’un dont tu étais amoureuse, j’aurais voulu en parler avec toi. Je sais que ce genre de chose peut amener des problèmes à celles qui s’y prêtent, car pour les autres filles c’est, officiellement, un tabou à ne pas franchir. Je peux te dire qu’aucune des filles que j’ai fouettées, et il y en a eu plusieurs, aucune de ces filles n’a eu d’ennui à cause de moi. Je ne suis pas un idiot bavard. Je me suis aussi laissé aller à penser, ou plutôt, j’aurais voulu te demander si tu avais quelqu’un en ce moment pour te fouetter lorsque tu en as envie. Malgré ton immense beauté, cela n’est pas toujours évident à trouver. Il faut pouvoir avoir une très grande confiance en la personne à qui l’on demande ce genre de chose. C’est aussi une des raisons pour lesquelles je voulais que tu saches où me joindre. Je t’aime depuis des années, alors il serait vraiment dommage que tu fasses appel à quelqu’un d’autre. Je me suis toujours senti très libre avec toi, j’ai adoré tout ce que j’ai fait avec toi, et je serai très heureux de pouvoir te fouetter ou de faire tout ce que tu veux. Je veux que tu saches qu’il n’y a rien qui puisse me gêner en toi, absolument rien. Je n’ai jamais ressenti avec toi ce genre de barrière qu’on a avec d’autres filles. Il y a chez toi comme un parfum de la liberté et des jeux de l’enfance.
J’aurais voulu te connaître petite fille. Tu devais être terrible, j’aurais sûrement été amoureux de toi. Et puis comment te dire à quel point les autres femmes m’ennuient, comment te décrire mon manque d’intérêt pour les femmes en général, à quelques exceptions près. Et toi, tu es l’exception des exceptions.
J’aimerais te connaître, savoir plus de choses sur toi. J’en sais très peu malgré le temps qui s’est écoulé depuis la première fois où je t’ai vue. Ce que je sais sur toi, je l’ai su par d’autres. C’est comme cela que j’avais appris que tu avais une petite fille. On m’a dit aussi que tu avais eu une grosse peine car l’homme avec qui tu étais t’avait quittée. C’était il y a plusieurs années. A part cela, je ne sais pas grand-chose sur toi. Je me suis demandé comment on pouvait quitter une fille comme toi. Surtout si tu étais prête à tout pour lui, surtout si c’était pour lui que tu t’étais prostituée, on peut difficilement aller plus loin comme preuve d’amour. S’il ne voulait plus que tu te prostitues, il n’avait qu’à te dire d’arrêter et te garder. C’est lui qui t’y avait poussé. Peut-être avait-il trop honte de ce qu’il t’avait fait faire ou peut-être est-il tombé amoureux d’une autre fille. Peut-être est-ce un ensemble de choses compliquées, plus ou moins définissables, ou peut-être encore qu’il ne t’a jamais aimée et qu’il voulait seulement te faire du mal. J’ai parlé de toi avec différentes filles pendant les années où tu n’étais pas là, mais je n’ai su que peu de choses.
Je dois dire que j’ai eu du mal à admettre que j’étais amoureux de toi, et puis tu me faisais peur avec tes airs de déesse. Tu le sais que tu es belle, et tu en es fière. Tu as changé, et c’est en bien. Tu peux être encore plus fière de ta beauté aujourd’hui, car tu es encore plus belle, parce que tu es devenue moins hautaine. La fragilité et l’inquiétude de vieillir t’ont rendue moins hautaine, plus accessible, et aussi plus touchante, moins déesse, plus humaine, plus belle. J’aimerais te connaître encore dans vingt ou trente ans, je suis sûr que tu seras encore plus belle. Sais-tu que certaines femmes ont soulevé des passions dans un âge très avancé ? J’ai vu que tu t’enrichissais avec l’âge, et j’en suis content pour toi. Quand tu étais très jeune, ta superbe chevelure blonde, il m’arrivait parfois de la voir comme une chevelure de gorgone. J’y voyais des serpents ! Tu étais tellement belle et tellement hautaine que je t’aimais et te détestais tout à la fois. Je crois qu’il y avait quelque chose de réciproque, non pas spécialement envers moi, mais que tu aimais et détestais les hommes en général tout à la fois. Que veux-tu, il y a si peu de femmes qui sont vraiment belles, qui sont vraiment désirables, qui inspirent vraiment l’amour. Et toi, tu inspires plus que l’amour, tu inspires la passion. La passion rare, la passion exceptionnelle, celle qui est refusée par toutes les autres femmes qui sont désespérantes du manque de ce qu’elles n’inspirent pas. Je t’aime, je t’aime, oui, je t’aime, Lætitia, de tout mon cœur, de toutes mes fibres, et qu’est-ce que cela a d’exceptionnel. Tout le monde t’aime, en tout cas, tous les hommes t’aiment. Tu es la passion, tu es la beauté, tu es la générosité du sexe de la femme, tu es l’amour même. Pardonne aux hommes de tellement t’aimer, Lætitia, pardonne-leur car ce n’est ni de leur faute ni de la tienne. Pardonne-leur de t’assommer avec leur soif d’amour comme je t’assomme en ce moment, pardonne-leur d’être tellement insupportables, mais ne pardonnes pas à toutes les femmes qui leur refusent d’instinct tout ce que tu leur apportes, tout ce que tu leur inspires. Si tu savais à quel point il y a peu de femmes qui ont cette essence féminine qui est en toi. Tu sais à quel point j’adore tes seins et comme j’aime les embrasser. Pourtant les autres femmes ont des seins, parfois aussi beaux et apparemment aussi généreux que les tiens, mais rares sont ceux qui renferment cette essence de femme. Cette essence, elle est aussi dans ton ventre, dans tes cuisses, dans tes épaules, dans tes fesses, dans tout ton corps de femme, et aussi dans ton visage quand il devient madone après que tu as donné son coït à l’homme. Les plus beaux moments que j’ai passés avec toi, c’est après la jouissance. Une fois je t’ai proposé de fumer une cigarette, comme s’il s’agissait de faire passer un temps insignifiant entre deux jouissances importantes, alors que c’était ce temps-là qui était le seul important. Le temps d’être avec toi, de me remplir de ta présence. Je ne voudrais te rendre ni modeste ni vaniteuse, mais regarde les autres femmes, et surtout respire-les, sens-les, non pas seulement avec les narines mais avec cette espèce de sens qui permet de sentir le parfum de l’âme d’une personne, et dis-moi combien il y en a qui possèdent quelques atomes de féminité. Ce n’est pas seulement ta beauté qui inspire la passion, au contraire, elle l’empêcherait même un peu ce qu’il y a d’attirant, de passionnant en toi, c’est que tu es femme, et que c’est excessivement rare. C’est pourquoi tu amènes plaisir et douleur, car ta présence est un plaisir et que ton absence pressentie est déjà la douleur. C’est pourquoi il est souhaitable de recevoir la douleur de tes mains, plutôt que de continuer à pressentir la douleur effroyable que va causer ton absence. C’est pourquoi un homme a envie d’être détruit par toi, car il sait qu’il va être détruit sans toi. Ce n’est ni de ta faute ni de celle de tous ceux qui sont tombés fous amoureux de toi, mais à cause du manque si cruel et si impitoyable de féminité des autres femmes. Il n’y a d’ailleurs pas que les hommes qui t’aiment, les femmes succombent aussi à ton charme. Pendant tes années d’absence, j’ai fréquenté un moment quelques filles du quartier, et il m’arrivait d’aller au restaurant avec quelques-unes d’entre elles. Je cherchais le moyen d’avoir quelques renseignements sur toi pour savoir où te retrouver. Je leur ai fait écouter la chanson « Lætitia », et l’une d’elle a voulu la faire écouter à ses copines en disant quelque chose du genre « Ecoute ça, il a fait une chanson pour notre Lætitia. » Tu vois que, pour ces filles, tu n’es pas seulement Lætitia, mais tu es « leur Lætitia ». L’emploi de l’adjectif possessif est indubitablement une preuve d’amour. C’est-à-dire qu’elles t’aiment, elles aussi.
Je t’aime, Lætitia, je t’aime comme un fou, et je t’aime aussi raisonnablement. Je sais bien que l’amour que j’ai pour toi n’a ni plus ni moins de valeur ou de mérite que celui de tous les autres hommes. Pourtant je sens en toi une solitude qui ressemble un peu à la mienne. Il y a une chanson de Jean-Jacques Goldman dans laquelle il parle de la femme qu’il voudrait rencontrer pour l’aimer, et dans laquelle il dit « Qu’elle me ressemble en solitude ». J’ai beaucoup d’estime pour Goldman. Cette idée de valoriser la solitude montre la profondeur et l’intelligence de sa sensibilité. Je ressens ta solitude car je te sens trop intelligente et trop sensible pour ne pas être seule. Tu n’es pas vulgaire, dans le sens originel du mot (du latin vulgus multitude), tu n’appartiens pas à la multitude. (Rassure-toi pour la citation latine, je ne suis pas si savant que ça. Je m’offre le plaisir de prendre le temps de t’écrire en feuilletant le dictionnaire à l’occasion. Je travaille sur un ordinateur avec traitement de texte, et cela est très agréable. Je voudrais que tu aies autant de plaisir à me lire que j’en ai à t’écrire. Pour le moment, je souffre car je doute que ma lettre soit bien reçue. Si seulement tu pouvais me faire un signe dans lequel tu me dises que cela ne te cause pas trop de désagrément, je pourrais alors être vraiment heureux de t’écrire en sachant que tu es un peu heureuse de me lire, que, par moments, cela te distrait un peu de la solitude que j’étais en train d’évoquer. Tu pourrais me dire, par exemple, que tu ne m’interdis pas formellement et complètement de t’écrire, cela me suffirait. J’aimerais bien recevoir une lettre de toi, et même des lettres de toi. Je trouve que le fait de s’écrire est une relation tellement plus dense, tellement plus intense, tellement plus profonde. Il y a tellement de choses qu’on ne peut pas se dire, même dans le plus grand amour. En écrivant, on peut prendre du recul, on peut prendre son temps, et on peut arriver à aller tellement plus loin que là, oui, on se sent vraiment libre dans sa communication. On n’est pas empêché par toutes les petites contingences du quotidien. Il n’y a pas de sonnerie de téléphone, pas de fatigue, pas d’envie de dormir, pas de temps. L’autre peut te lire et te relire quand et comme il veut. Une lettre, c’est un peu une œuvre d’art, c’est même mieux qu’un roman. J’espère que tu aimes lire ou que tu aimeras me lire car tu m’inspires une fringale épistolaire. J’ai envie de t’en pondre des tartines ! Si tu pouvais m’écrire, et si tu arrivais à m’écrire des lettres assez longues, alors là, je serais parfaitement heureux. J’aimerais recevoir l’épanchement de ta personne, l’épanchement de ton être, l’épanchement de ton âme. Je voudrais que tu puisses m’écrire comme on tient un journal intime, non pas dans la forme spécifique du journal intime mais dans l’état d’esprit du confident à qui l’on dévoile beaucoup plus de soi-même. Quand je dis confident, je dis aussi et bien sûr confiance. Je te fais pleine et entière confiance. Je t’écris à toi, et rien qu’à toi. Je ne voudrais pas que qui que ce soit d’autre lise mots que je t’adresse à toi et à toi seule. C’est parce que, pour moi, tu es unique que je t’écris, et c’est uniquement pour toi que je le fais. Je serais extrêmement déçu de savoir que qui que ce soit ait pu lire des mots que je t’avais adressés. Si tu me respectes un tant soit peu, et si tu as un tant soit peu d’affection pour moi, fais en sorte que cela reste notre secret. Quant à moi, il va de soi que je te jure un secret absolu et éternel si tu veux bien me faire l’immense plaisir de m’écrire de temps en temps. Je veux que tu puisses me parler comme à toi-même, de tout et de rien, de ce dont tu auras envie. Surtout, je ne veux pas que tu ressentes la moindre gêne à cause de l’écriture, de l’orthographe (le mot orthographe est d’ailleurs probablement une faute à son origine, il faudrait pouvoir dire orthographie, c’est une des nombreuses bizarreries de la langue française), ou de la syntaxe. Je dois moi-même laisser traîner suffisamment de fautes, bien que je me relise. J’espère que tu me le pardonneras. C’est un vieil ordinateur, et je n’ai pas de correcteur orthographique ou grammatical. Ecris-moi comme tu en as envie ou comme tu parles. Tu parles très bien. J’aime beaucoup ta voix, ce qui est assez rare car je suis très sensible à la musique des voix, et il m’arrive souvent de souffrir à l’audition de certains timbres. J’aimerais bien que tu me téléphones de temps en temps, cela me permettrait d’entendre ce son que j’aime et qui sort de toi, qui vient de toi. Tu peux m’appeler à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, je n’ai pas d’horaire vraiment normal ou régulier. Je peux me coucher à midi comme à 10 h du soir. Même quand je travaille, ce qui n’est pas le cas depuis plus de six mois, je peux aussi bien travailler de jour comme de nuit. Appelle-moi, appelle-moi, n’importe quand, quand tu veux, quand tu as besoin de parler à quelqu’un, quand tu as besoin de quelqu’un qui pense à toi ou quand tu as envie de faire plaisir à quelqu’un qui pense depuis si longtemps à toi.)
Bien que nous soyons l’un et l’autre de chaque côté d’une barricade, je ressens pour toi de la fraternité. Je n’ai rien à t’offrir, alors là, vraiment rien, si ce n’est le sentiment de te comprendre et d’être compris par toi. En plus de toute la passion pour la femme que tu m’inspires, j’aurais aussi bien aimé t’avoir pour sœur. J’aurais pu être amoureux de toi de façon très chaste toute une vie. Si tu connaissais ma sœur, tu verrais tout de suite de quoi je parle. Dire qu’on s’aimait vraiment comme frère et sœur quand on était gosses, et qu’elle est devenue cette espèce d’être asexué et vulgaire que j’imagine pouffant de rire à la barbe de l’homme qui lui ferait l’amour. Peut-être qu’il y a un peu du regret de cette sœur perdue et que je ne vois plus, bien qu’elle vive près de Paris, mais je sais que je t’aime aussi comme une sœur.
Je voudrais te dire des mots d’amour, légers comme des caresses, qui ne t’assomment en rien. Je voudrais te divertir, t’inspirer un sourire, ma chère Lætitia, Lætitia chérie, Lætitia adorée. Je voudrais te dire que tout cela n’a rien de grave, rien d’important, que ce n’est qu’une futilité, non pas que je ne t’aime pas profondément mais parce que je t’imagine assommée, étouffée, broyée, écrasée par l’amour. Au secours ! Encore un qui m’aime. De l’air ! de l’air ! Quelle malédiction d’être un des derniers vestiges féminins en cette fin de deuxième millénaire !
De même, je m’aperçois que je commence à prendre plaisir à t’écrire, et je me dis qu’il est possible que tu te divertisses un peu à me lire. Et pourtant, il faudra bien que cette lettre s’arrête. Comment t’écrire de nouveau sans t’assommer ? Il me faut un signe de ta part, quelque chose de léger, une invitation, une autorisation à t’écrire qui n’en soit pas une, tout en permettant une interprétation différente qui ne soit pas quelque chose d’assommant. Je voudrais pouvoir t’apporter quelque chose de léger. D’abord je voulais te dire que je t’aimais vraiment, que je pensais vraiment à toi, et que si je ne venais plus te voir, c’est uniquement en raison de circonstances indépendantes de ma volonté. D’un autre côté, cela m’oblige à te dire que j’aimerais te voir dans un autre cadre que celui que j’ai connu jusqu’à présent avec toi. J’ai passé des moments merveilleux avec toi, et si j’avais de l’argent, je viendrais te voir aussi souvent que mes moyens me le permettraient. Malheureusement, ce n’est plus le cas. Peut-être cela me permettra-t-il de te connaître autrement. J’aimerais que tu puisses compter sur moi lorsque tu as besoin de quelqu’un à qui parler, ne serait-ce que parce qu’on ne peut pas toujours être toute seule. Je n’ai aucun moyen matériel, mais j’ose penser qu’il n’y a pas beaucoup de personnes avec qui tu puisses parler comme avec moi et qui puissent te comprendre comme moi, non seulement parce que je t’aime, mais parce que j’ai aussi beaucoup d’amitié pour toi, et depuis longtemps. J’espère ne t’avoir jamais ennuyé, et je ne voudrais pas commencer à présent. Je pense avoir certaines qualités d’intelligence, de sociabilité et d’affection sincère à ton égard pour pouvoir devenir à la longue quelqu’un dont la compagnie te sera agréable.
Tu sais aussi que sur le plan sexuel, je n’ai aucune gêne envers toi, et j’espère qu’un jour tu n’en auras aucune envers moi, que tu pourras me dire tout ce que tu veux, que tu pourras me demander mon avis ou discuter de n’importe quel sujet avec moi. Tes cravaches ne me font pas peur, au contraire, elles te donnent un charme fou. Nous vivons une époque difficile en ce qui concerne les rapports entre hommes et femmes, et, pour certains, ces rapports doivent en passer par là. Je préfère le fouet au silence ou à l’absence. Quand tu donnes le fouet, tu es obligée d’être là. Il est tellement facile pour une femme de faire l’amour tout en étant ailleurs, même pour un homme d’ailleurs. Il y a deux ou trois siècles, je t’aurais bien vue dans la peau d’une amoureuse jalouse et passionnée. Aujourd’hui où plus rien de tout cela n’a d’importance, comment faire pour nous rappeler que nous voulons aimer, nous offrir et prendre possession de l’autre passionnément ?
Depuis le temps que je te connais, j’aurais pu t’écrire beaucoup plus tôt. Ce n’était pas possible car je n’étais pas libre. J’ai été amoureux de mon premier amour pendant presque vingt-cinq ans. A seize ans, je suis sorti avec une fille qui s’appelait Nathalie pendant quelques mois. Elle m’a plaqué, et je lui suis resté fidèle en quelque sorte. Vingt-quatre ans et demi plus tard, j’ai réussi à la retrouver et à la reconquérir. Quelques mois plus tard, elle me plaquait de nouveau, mais, cette fois, j’étais soulagé. J’avais compris que j’avais aimé une folle, d’un égoïsme démentiel. Si je dis à quelqu’un que je l’aime, surtout si je le dis à une femme qui est mon amante, cela veut dire que sur un signe d’elle, sur un appel, je serais capable de traverser la galaxie pour la rejoindre. J’ai fait mieux que traverser la galaxie, j’ai traversé près de vingt-cinq années, pour réaliser qu’elle ne traverserait même pas la rue pour rejoindre celui à qui elle avait dit « je t’aime » quelques heures plus tôt. Vingt-cinq ans plus tard, j’ai compris que je n’avais jamais aimé à seize ans qu’une fille qui n’avait jamais pensé à moi mais toujours et uniquement à elle. Elle ne s’était jamais occupé que d’elle. Ma loyauté, ma fidélité, tout cela ne représentait rien pour elle, car elle n’en avait aucune. Elle ne voyait dans l’amour que ce qui se passait en elle, absolument rien de l’autre en dehors de ce que cela provoquait en elle. Moi qui suis d’une loyauté et d’une fidélité assez incroyables, il avait fallu que je tombe sur cette fille qui n’en avait aucune à un point encore plus incroyable. Il a fallu que je tombe amoureux à seize ans (donc deux fois aveugle) d’une fille qui arrivait naturellement à se mentir à elle-même de la façon la plus incroyable, et qui m’a frappé dans ma vie au plus mauvais moment. En l’occurrence, elle m’a plaqué quelques semaines avant le bac que j’ai brillamment raté de quelques points. Cela a mis fin à mes études, car mon père m’a assassiné dans le dos à la même époque en me disant que l’école n’était obligatoire que jusqu’à seize ans. Je n’avais plus de force pour réagir, je commençais ma longue recherche de Nathalie, recherche qui allait durer vingt-quatre ans. La vérité vraie, celle qu’on n’a pas le droit de dire, est qu’elle m’avait utilisé comme un prostitué gratuit avec lequel on prend du plaisir et qu’on jette ensuite. Elle avait seize ans, tout comme moi, et, pour les besoins de son éveil normal à la sexualité, elle avait jeté son dévolu sur moi. J’étais, sans fausse modestie, le garçon numéro un du lycée à cette époque, le mec le plus en vue, le leader local du mouvement revendicatif lycéen. Nous étions dans l’année qui a suivi les événements de mai 68. Avec mon aplomb devant les autorités du lycée, j’avais obtenu le droit de sortie pour les internes le jeudi après-midi (maintenant, c’est le mercredi qui sert de coupure de la semaine scolaire à l’époque, c’était le jeudi). J’étais aussi le représentant élu des internes des grandes classes, bien que mon arrivée au lycée de Meaux ne datât que de quelques semaines. Une autre fille assez mignonne m’avait fait des avances explicites, mais je n’étais pas tombé amoureux d’elle. Cela aurait certainement mieux valu pour moi. J’ai fait le mauvais choix. Je suis tombé en pâmoison devant cette fille, Nathalie, qui m’émouvait tellement. Je n’aurais jamais pu imaginer à l’époque ce qu’elle était vraiment une folle, totalement inconsciente, qui se jouait la comédie à elle-même encore mieux qu’à moi, avec une sécheresse de cœur incroyable. L’autre fille qui m’avait fait des avances était moins expansive, moins émouvante au premier abord, mais elle n’aurait certainement pas eu le cœur aussi sec que celui de Nathalie. Je me suis laissé avoir par ses larmes, et je lui ai donné mon amour, c’est-à-dire, pour moi, tout mon amour, toute ma loyauté, toute ma fidélité éternelle. Je l’ai poursuivi pendant vingt-quatre ans au nom de cette fidélité, (entre temps, j’ai fait ta connaissance), et quand j’ai réussi à la retrouver, ce fut pour découvrir qu’elle se souvenait à peine de moi, que la loyauté et la fidélité n’avaient même aucun sens pour elle. J’ai fait l’amour avec elle vingt-quatre ans et demi après lui avoir dit mon premier « je t’aime ». Une nouvelle fois, elle m’a dit qu’elle m’aimait, sans que cela ait la moindre signification pour elle en dehors de son plaisir sentimental de l’instant. Elle n’avait pas changé dans son cœur, par contre son visage et son corps étaient devenus bien plus proches du monstre d’égoïsme qu’elle n’avait jamais cessé d’être. Elle s’était offert le luxe d’un amoureux de jeunesse qui la poursuivait depuis plusieurs décennies, toujours aussi inconsciente, ne pensant toujours qu’à elle-même, toujours aussi monstrueuse. Mes yeux se sont douloureusement ouverts sur cette monstresse, et, quand elle m’a plaqué, je me suis enfin senti libéré de l’engagement que je lui devais bien qu’elle n’en ait jamais eu le moindre soupçon envers moi.
Voilà, excuse-moi de te parler de moi alors que je n’ai de soif que de toi, alors que je ne voudrais m’intéresser qu’à toi, et, qu’en plus, tu ne m’as rien demandé ! Mais c’était pour te dire que je ne suis libre que depuis la fin de cet engagement. Avant, je n’avais pas vraiment le droit de t’aimer, je n’étais pas vraiment libre. Même si cette histoire peut paraître insensée, il se trouve que c’est comme ça. La dernière fois que je suis monté avec toi, j’ai pu te dire pour la première fois que je t’aimais. Assez étonnant comme déclaration puisque tu étais en train de me frapper avec une cravache. Mais c’est vrai que je t’aime, cravache ou pas ! Je t’aime, Lætitia, ma Lætitia, mon cœur, mon bonheur, ma joie. Introibo ad altare Dei. Ad Deum qui lætificat juventutem meam. « Je m’approcherai de l’autel de Dieu. De Dieu, la joie de ma jeunesse. » Savais-tu que Lætitia veut dire joie en latin ? Tu es vraiment une joie pour moi. Il est probable que ce prénom ne soit qu’un nom d’emprunt, puisque c’est dans la coutume de changer de prénom pour l’activité que tu exerces, mais c’est un très joli prénom qui te va tout à fait. Je suis un peu gêné du point de vue de l’écriture, car j’essaie d’observer une règle qui tend à limiter les adjectifs, les adverbes et les superlatifs, et, avec toi, je mets des « vraiment », « tout à fait », et autres adjectifs et superlatifs. Eh bien, c’est que je suis vraiment et tout à fait amoureux de toi !
J’ai encore beaucoup de chose à t’écrire, mais je dois emmener des amis en voiture, et, ensuite, je veux aller te voir. Cela fait plusieurs semaines que j’ai commencé cette lettre, il faut que je l’imprime et que je vienne te voir maintenant dans cette nuit du dimanche 13 au lundi 14 avril. Je voudrais des photos de toi, des petites, des grandes, ce que tu as au moins une petite, s’il te plaît.
J’espère que tu as aimé la chanson Lætitia, je te raconterai son histoire dans une autre lettre, si tu veux bien. Téléphone-moi sur mon portable au 06.84.52.24.07 ou écris-moi, ou téléphone-moi et écris-moi (ce qui sera encore mieux !). J’aimerais te voir, avoir du temps pour parler avec toi. Apprendre à te connaître. Je suis sûr qu’il doit y avoir un cœur quelque part là-dessous. Tu te rends compte que depuis le temps que je te connais, je ne sais pratiquement rien de toi. J’ai besoin de toi, j’ai besoin de te voir. Je suis désolé de ne pas avoir grand-chose à t’apporter en dehors de l’intérêt que j’ai pour toi. Je suis actuellement dans un petit studio de 14 m², je n’ai pas de palais et je n’ai rien d’un prince charmant. J’ai seulement de l’affection pour toi. J’espère que ta petite fille est en très bonne santé, j’aimerais bien la voir en photo pour voir comment elle te ressemble et comment elle est. Est-ce qu’elle est blonde ? Je vous embrasse toutes les deux.
Michel. |
P.S. : je te joins un mini-disque avec la chanson Lætitia en son digital.
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