Deuxième partie

M. Michel ROMAIN

Patricia

23, rue du Jour
91230 Yerres
Tél.  06.84.52.24.07


Patricia chérie,

Je suis heureux de savoir ton véritable prénom, maintenant. Il te correspond mieux. Bien que j’aimasse beaucoup Lætitia (qui ne veut absolument pas dire « fille de joie » mais « joie », « bonheur » ou « félicité »), tu es d’abord une Patricia, c’est-à-dire une noble Dame, et tu es aussi une joie. J’aimerais que le mot ange ait un féminin. Malheureusement Byzance n’a pas eu le temps de résoudre la si importante question du sexe des anges. Pour ma part, je crois que les anges sont sexués. Je crois qu’il y a des anges masculins et des anges féminins. Et, pour moi, tu es un ange féminin. Je voudrais mettre « mon ange adoré » à la place de « Patricia chérie », mais je n’aime pas ce masculin qui est une offense à ta merveilleuse féminité, et on ne peut pas mettre « mon ange adorée ». Sache néanmoins que tu es mon ange « adorée ».

C’est peut-être une très mauvaise idée de ma part, car il n’y a rien de pire que de parler d’une autre femme à celle qu’on aime, mais je suis très troublé à ce sujet depuis que je suis rentré chez moi après t’avoir vue et que tu m’aies dit que ton vrai prénom était Patricia. Il y a quelques jours, je pensais justement à ton vrai prénom, sachant qu’il est d’usage d’en changer, et un seul prénom m’est venu à l’esprit, justement Patricia. Cela m’a fait penser à une certaine Patricia que j’ai connue il y a très longtemps. Je n’ai jamais pu l’approcher de près, mais je dois t’avouer que j’ai été follement amoureux de cette Patricia. Je ne l’ai jamais vue que de loin et en discothèque, mais elle te ressemblait beaucoup en y repensant maintenant que tu m’as dit ton véritable prénom. C’est idiot de te raconter une histoire pareille, car tu es vraiment mon amour et tout mon amour, mais cette fille avec le même prénom et cette ressemblance. Ou alors c’est que je craque pour un type de fille bien particulier.

Si je pouvais te parler de temps en temps, si tu me téléphonais un peu quelquefois, je me serais arrangé pour te demander discrètement si tu allais dans telle discothèque au début des années 80, de façon à ne pas faire une telle bourde. Mais j’ai besoin de t’écrire, de te parler maintenant, ne serait-ce que pour te remercier de l’instant merveilleux que j’ai passé avec toi, ne serait-ce que pour te remercier de m’avoir laisser prendre ta main, de l’embrasser et de la mettre sur ma joue. Je suis empreint de douceur, de tendresse et de joie. Je revois ton sourire, peut-être un peu moqueur, je sais que je le mériterais bien, mais d’une telle gentillesse et aussi d’une telle beauté. Je m’excuse de n’avoir pas pu te prendre, mais ayant réalisé que j’étais vraiment amoureux de toi, il m’est dorénavant très difficile de te prendre comme une simple prostituée. Est-ce l’amour ? est-ce l’émotion ? est-ce le fait que je vieillisse ? J’ai bientôt 46 ans, et je dois me méfier des drogues et des alcools ou choisir ! Je crois que même à vingt ans je n’aurais pas pu te pénétrer dans une telle circonstance. Il arrive un moment où le désir s’efface devant le sacrilège d’entrer dans le corps de l’être aimé sans un réel désir de sa part. J’aime bien être dans ta bouche, et tu es belle lorsque tu me caresses ainsi, mais sans qu’il y ait de ta part le désir d’enserrer le sexe de l’amant vénéré. Savantes caresses dont je te remercie, mais qui ne viennent pas à bout de l’amour et du respect que tu inspires.

Je continue cette lettre commencée lundi 13/04, après t’avoir vue dimanche la veille au soir. Nous sommes aujourd’hui mardi 14. J’ai passé la journée du lundi à planer en pensant à toi. Je le paye aujourd’hui, mardi, car je n’ai aucune nouvelle de toi. Je ne peux te joindre nulle part. Je suis en colère après toi. Je repense à cette Patricia dont j’ai été follement amoureux au début des années quatre-vingts. Je pense du mal de vous deux : Lætitia, Patricia. Il se pourrait que ce soit la même personne, et je n’en suis même pas sûr. Je m’aperçois que je fais durer le suspense, aussi faut-il que je te parle de cette Patricia pour que tu puisses me dire si c’était toi ou pas. Maintenant que tu m’as dit ton vrai prénom, j’ai vraiment l’impression que c’était toi. Si c’est toi, c’est vraiment incroyable que j’ai pu te fréquenter pendant tant d’années sans faire le rapprochement, sans te reconnaître, et sans que tu me reconnaisses non plus. De ta part, ce serait moins étonnant, car cette Patricia n’a jamais jeté un seul regard sur moi.

C’était donc au début des années quatre-vingts, avant de te voir rue Blondel. Je sortais souvent le vendredi soir et le samedi soir avec ma sœur dans une boîte pas très loin de la gare Montparnasse. Je ne me souviens plus du nom de la boîte. En y allant, je pense pouvoir la retrouver si elle existe encore. Il y avait une boîte de strip-tease pas loin, genre club américain, sûrement avec des entraîneuses. Je ne sais pas, je n’y suis jamais entré, mais il y avait un affichage publicitaire devant la boîte de strip-tease avec des photos de filles. J’ai le souvenir de photos en noir et blanc. La discothèque n’était pas loin. Je crois qu’il s’agissait d’une cave aménagée, et qu’on y accédait en descendant un escalier. Je crois que c’était assez près du boulevard Raspail, juste après le boulevard Montparnasse, dans le pâté de maisons à droite du boulevard Raspail dans le sens de la descente. Donc pas loin des grands cafés du boulevard Montparnasse.

Il y avait dans cette discothèque une fille superbe qui venait de temps en temps le vendredi et le samedi soir. Elle te ressemblait beaucoup, au point que je ne peux m’empêcher de te parler d’elle car elle était aussi belle que toi. Elle s’appelait Patricia. C’est tout ce que j’ai pu savoir d’elle car elle était toujours très entourée et que je n’ai jamais réussi à l’approcher. Elle avait de grands cheveux blonds comme les tiens. Je ne l’ai jamais vue que dans cette discothèque, et jamais de près. Je n’ai jamais pu danser avec elle. Je venais presque tous les vendredis et les samedis dans l’espoir de la voir. Elle n’était pas tout le temps là, mais assez souvent. J’étais désespéré quand elle n’était pas là, on avait l’impression que la discothèque était vide. Ce n’était pas seulement subjectif comme impression car elle déplaçait toute une bande de copains et quelques copines avec elle. Cette Patricia était l’idole de sa petite bande. Je revois vaguement un garçon un peu potelé qui était souvent avec elle. Elle avait une copine assez mignonne, mais la classe de Patricia était tellement top qu’elle effaçait toutes les autres filles, même sa copine ravissante. La copine était brune avec des cheveux courts, bien maquillée, des fringues toujours impeccables. Patricia était aussi toujours impeccable, et on voyait qu’elle aimait les fringues. Le plus beau, c’était de la voir danser : elle était magnifique, un ange de lumière dans la nuit. A l’époque, j’ai écrit cette chanson pour elle :

PATRICIA

1   Je sais bien que l’amour,
C’est difficile à jouer.
On peut perdre son tour
Comme on peut gagner.
Ça n’a pas d’importance,
Quand je la vois qui danse,
Je ne prendrai l’amour que de Patricia.

2   Avec ses cheveux blonds
Qui recouvrent son front,
On croirait voir un ange,
Un ange égaré.
Pas besoin de louanges,
Pas besoin de prier,
Car tout l’monde est amoureux de Patricia.

Refrain   Patricia,
Quand tu viens le soir
Danser dans le noir,
Patricia,
Jette un petit regard
Sur celui qui t’attend.

Patricia,
Danse encore pour moi,
Danse maintenant,
Patricia,
Tu as bien-in-in-in le temps.

3   Elle est belle comme le jour
Dans la nuit qui l’entoure.
Un rayon de lumière
Tout à coup l’éclaire.
Je voudrais l’emmener,
Je voudrais la garder,
Mais la musique s’en va comme Patricia.

Instrumental.

Aux couplets I et II.

Au refrain et fin.


Grille

Tempo :

Intro :
(8)

Couplet :
(8)

Refrain :
(18)


Structure :


Durée :

4/4, 110 bpm, disco-dance-rock.

Em / sA / | Em / sD / | Em / sA / | C / sD / |
G / sA / | G / sEm / | G / sD / | C / sG / |

Em / sA / | Em / sD / | Em / sA / | C / sD / |
G / sA / | G / sEm / | G / sD / | C / sG / |

Em | Em | C | G | D | D | C | D |
Em | Em | C | G | D | D | C | C |
D / D7 / | D6 / D / |

intro / couplet 1 / couplet 2 / refrain / couplet 3 /
instrumental / couplet 1 / couplet 2 / refrain / fin.

8 + 8 + 8 + 18 + 8 + 16 + 8 + 8 + 18 + 9 = 109 m 4/4 à 110 bpm = 3’59.

Etait-ce toi, Patricia ? Etait-ce toi, cette fille dans cette discothèque vers 1980, il y a déjà dix-huit ans ? Tu lui ressembles tellement, et avec le même prénom, je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement. Patricia, Lætitia, Patricia, Lætitia, je m’y perds là-dedans. A la fois je voudrais que ce soit toi, et je me dis que ce n’est pas possible depuis tout ce temps. En même temps, je me dis que si ce n’était pas toi, ton parcours n’a pas du être tellement différent. Je suis sûr que, toi aussi, tu devais avoir la même bande d’admirateurs qui faisaient le carré autour de toi. Et, dans le tas, ou plutôt, en dehors du tas, tu as choisi de tomber amoureuse du seul qu’il ne fallait pas.

Du seul qui allait vraiment te faire du mal. J’ai vu une fois de loin et de dos seulement, l’homme dont était amoureuse la Patricia de la discothèque de Montparnasse. C’est ma sœur qui a dû me dire que c’était son mec. Il avait l’air beau et bien fringué, le genre à avoir des femmes, à en avoir tellement qu’il pouvait en faire ce qu’il en voulait. Il possédait ce magnétisme envoûtant qui attire irrésistiblement les femmes. Quelque chose de supérieur, quelque chose qui faisait que les femmes se seraient battues entre elles pour lui. On sentait qu’il savait se faire aimer, et qu’il avait la force implacable de n’en aimer véritablement aucune, et qu’il savait leur lancer le défi de tomber amoureux d’elles, de telle sorte qu’elles étaient toutes prêtes à le relever et à donner leur vie pour lui. La beauté du diable au masculin, avec quelque chose d’étranger, d’antillais ou de métis. Je ne l’ai vu que de dos et d’assez loin, écrasé de jalousie. Je me souviens d’une ombre qui projetait un égoïsme magnifique qui faisait que tout le monde l’admirait, une puissance virile prête à faire le coup de poing au besoin, mais surtout sûre d’elle-même pour apparaître puissant et pacifique.

Si tu n’étais pas cette Patricia, alors c’est que c’était une autre, et il ne m’étonnerait pas que cette autre Patricia ait suivi le même chemin. Parce que ce type était de la graine de mec pour qui les filles se battent afin d’avoir l’honneur de faire le trottoir pour lui. Pourquoi choisissons-nous toujours le pire ? Pourquoi allons-nous toujours là où se brûlent nos ailes ? Sûrement est-ce une des lois de la vie de relever les défis les plus difficiles, ceux qui mettent à l’épreuve les forces de notre jeunesse. « J’irai au bout de mes rêves, Où la raison s’achève », j’irai surtout jusqu’à ce que je me casse en deux et que je ne puisse plus avancer. Pour ma part, je me suis bien casser. Et c’est dans un âge plus avancé, avec beaucoup moins de force, qu’il faut recoller les morceaux pour continuer à vivre. Merveilleuses Lætitia, merveilleuses Patricia, où êtes-vous aujourd’hui ? Avez-vous utilisé la beauté de votre jeunesse pour répandre un parfum d’amour sur le monde ? Avez-vous été charitables et compatissantes des grâces que la nature vous avait données ou avez-vous été froides et hautaines, ne pensant qu’à vous ? Rien n’est jamais tout blanc ou tout noir, un peu des deux, un peu plus de ceci, un peu moins de cela. Et moi, qui suis-je pour te faire la morale, pour te faire le monde ? Rien. Rien que quelqu’un qui veut te parler, rien que quelqu’un qui veut te couvrir d’un flot de tendresse et d’amour par des mots, par des paroles qui te toucheront si elles contiennent un peu de vérité. Parce que je sais qu’au fond de toi tu es bonne, Patricia. Patricia-Lætitia, je sais que tu es bonne et j’ai besoin de ta bonté. Je t’aime, je t’aime, je t’aime comme un enfant. Je t’aime comme un enfant aime une autre enfant. La dernière fois que je t’ai vue, je n’ai même pas été gêné de ne pouvoir faire l’amour avec toi. Cela m’a même fait plaisir. J’étais content de ne pas arriver à bander, j’en étais même heureux. Ce n’est généralement pas l’effet que ce genre d’incident fait sur un homme. Non, j’ai des problèmes pour arriver à bander avec les prostituées. Cela m’est arrivé plusieurs fois au cours de ces dernières années. Pendant que tu élevais ta fille, j’ai tiré trois ans de taule, deux ans et encore une autre fois un an. La deuxième fois, c’était plus court mais cela m’a vraiment cassé. J’ai du mal à bander pour une prostituée qui n’a pas envie de moi, j’ai aussi un peu forcé sur quelques drogues, mais je crois que j’ai surtout été cassé par la prison. Il y a quelque temps, une copine, plus que passablement défoncée, m’a pratiquement violé. Elle a eu ce qu’elle voulait, ce qui me rassure. Mais faire l’amour sans s’embrasser, sans se caresser auparavant, sans s’aimer, sans prendre son temps, soit ce n’est plus de mon âge, soit ce n’est plus de mon humeur. Il me reste la possibilité de fouetter ou/et de me faire fouetter, la violence est un excitant ; mais pour combien de temps encore ? J’étais heureux de ne pas pouvoir jouir de quelque chose qui ne voulait rien dire. Un orgasme mécanique avec toi, maintenant que je sais que je t’aime d’amour, et que je ne dois plus aucune loyauté à aucune autre femme ; il ne peut en être question. Par contre, faire l’amour avec l’enfant qui est en toi, alors là, oui ! Et surtout, embrasser et tenir ta main. Un biographe sévère de John Lennon s’est fortement gausser des Beatles, qui étaient friands d’orgies sado-maso à l’époque où ils sortirent la chanson « I want to hold your hand » (Je veux tenir ta main). Ce journaliste devait simplement manquer d’expérience. J’ai bien vu que tu étais bonne quand j’ai mis ta main sur ma joue, j’ai bien vu qu’il y avait une vraie tendresse en toi, que tu n’étais pas seulement une professionnelle cynique même si tu t’es rapidement reprise. Je vais ramer, je vais ramer comme un malade. Je vais te prendre la main, et, de là, je vais aller jusqu’à ton cœur, et là, je ne te lâcherai plus, comme une proie qu’on dévore. Je finirai par tout savoir sur toi, tu finiras par tout me raconter, tu seras plus que nue devant moi, tu deviendras transparente, et dans cette transparence nous nous unirons pour faire un même esprit en deux personnes, un mâle et une femelle. Je serai ton homme et tu seras ma femme, je serai tes yeux et tu seras ma parure, je serai ta puissance et tu seras ma charité. Je veux aussi te dire que j’aime ta fille, parce qu’elle est ta fille, parce que tu l’aimes infiniment, et parce que je t’aime. Quand je pense à toi, je pense souvent à vous deux, tellement je vous sens proches et inséparables l’une de l’autre. Tu n’es plus du tout la même depuis que tu as ta fille. C’est vraiment elle qui t’a changée, qui t’a rendue plus tendre, plus proche, plus souriante, en plus de te rendre heureuse. Tu n’en es que plus attirante, ma chère Patricia.

Comme tu es une sœur, j’ai envie de te dire la technique que j’emploie avec toi. C’est normal, j’ai envie de jouer franc-jeu. Alors voilà : tu racontes une histoire, un truc banal qui se rapporte quand même à la fille que tu veux conquérir. Tu fais mine de rien ; cahin-caha, tu poursuis ton petit bonhomme de chemin, l’air anodin. Tu essaies de retenir son attention. Les filles sont curieuses, c’est là leur moindre défaut ; donc, avec un peu d’imagination, ce n’est pas trop difficile de les inviter à regarder par la fenêtre. Mais elles sont malignes, et elles essaient toujours de te rouler. Alors il faut les rouler encore mieux. Tu lui parles d’elle, gentiment, comme ça. Ça les intéresse toujours un peu. Et puis, doucement, tu glisses sur un gros truc sexuel. Comme elle se croit maligne, elle te voit venir. Elle se barricade et met sa ceinture de chasteté des grands soirs. Tu enfonces le clou, et là, elle s’insensibilise complètement. Elle croit d’instinct que tu en veux naturellement à son cul, alors elle se protège de ce côté, elle est complètement barricadée. Et plouf ! d’un seul coup tu attaques côté cœur, et en force. Tu n’hésites pas, tu envoies les violons, les synthés et le gros solo de guitare. La pauvre fille est prise par surprise. Elle ne s’y attendait pas. Elle craque complètement, et le tour est joué ! Son cœur est assis par terre, tu peux le ramasser à la petite cuillère. Elle devient folle de toi, elle n’a plus qu’une seule envie : te couvrir de baisers. Son cul, tu n’en as rien à foutre, surtout si tu l’as déjà eu ; mais son cœur, tout son cœur, toute sa tendresse, tout son amour, c’est ça que tu veux. Et là, avec cette prise en traître, c’est imparable. Enfin, bien souvent, normalement ; pas toujours car il y en a qui résistent, et Dieu seul sait ce qui peut bien les faire craquer. Il faudra que tu me dises, ma tendre Patricia chérie, mon cœur béni et adoré, si cette stratégie a tant soit peu d’impact sur toi. Je finirai par t’avoir parce qu’un jour ou l’autre tu verras que je t’aime tellement que tu finiras par céder, et même, tu viendras me demander pardon, des larmes plein les yeux, d’avoir méprisé si longtemps tant d’amour. Je ne sais pas si je te pardonnerai.

Aujourd’hui, mercredi 15/04, je suis aller me présenter à deux rendez-vous pour du boulot. Tu m’as dit de travailler, alors je vais au turf pour pouvoir te donner tout plein d’argent (c’est même pas vrai !). Il semble qu’on se ligue pour que je travaille, je reçois des appels, et il se pourrait que je retravaille sous peu. Depuis des mois, j’étais très bien, je passais tout mon temps à penser à toi et j’étais très heureux. Maintenant que je nage en plein bonheur, on vient me déranger. Ou plutôt j’ai mis des mois à faire le point pour voir que je pensais de plus en plus à toi, et que c’était ça le plus important pour moi. Non, je ne vais pas te trahir en bossant, tu seras dorénavant toujours avec moi. Comme je passais à Paris, j’en ai profité pour faire un tour vers Montparnasse. Le quartier a changé, et je n’ai pas retrouvé la boîte en question. Un gars de l’EDF m’a dit qu’il y avait autrefois, rue Vavin, une discothèque qui s’appelait « L’Ours Bleu » ou quelque chose comme ça (ou L’Ours Blanc ?). L’immeuble a été détruit et reconstruit, la discothèque a disparu.

Etrange similitude de prénom, de silhouette et, j’en suis presque sûr, de destin. Elle te ressemblait tellement que je ne peux m’empêcher de me demander si ce n’était pas toi. Je me dis qu’il faut que je retourne te voir au plus vite pour en parler avec toi et savoir ce qu’il en est. Je passerai te voir dimanche prochain, le plus tard possible. J’aimerais que tu termines ton week-end avec moi. J’aimerais être le dernier. A quelle heure termines-tu ? Je ne suis sûr de rien, je risque que tu sois partie.

Une fois, j’ai pu accrocher sa copine brune, un soir que la Patricia disco n’était pas là. J’ai sympathisé un peu avec elle, ce qui m’a permis de faire passer un poème à Patricia la semaine d’après. J’y avais mis le paquet, fais-moi confiance. Je ne me souviens que de la fin :

« Béni soit l’homme qui te fera un fils, car il donnera au monde un nouveau dieu. »

Cela te rappelle-t-il quelque chose ? Etait-ce toi ? Il faut que je te vois au plus vite pour en avoir le cœur net. Excuse-moi pour cette histoire, mais il y a une telle ressemblance !

J’ai beaucoup pensé à toi cet après-midi, j’avais plein de choses à te dire, à t’écrire, pourquoi je t’aime, pourquoi je veux que tu m’aimes, pourquoi toi et pas une autre. Ce soir, je suis fatigué. J’ai l’impression d’avoir perdu une journée à aller chercher du boulot alors que j’aurai pu t’écrire. Je n’ai rien envie de faire d’autre que de me consacrer à toi, comme un moine de l’amour. Là, je suis heureux. Je ne veux pas t’écrire en étant fatigué. Je vais regarder la télé et je reprendrai demain. Il y a un reportage sur la Cinq sur la guerre du Japon en Chine, une série de massacres. Bonsoir mon amour adoré. Bonne nuit. Je t’aime. Je prierai avant de dormir pour ta santé et celle de ta fille. Couvre-toi bien, surtout quand tu sors, ne prends pas froid, dors bien. A demain.

Aujourd’hui jeudi. Je me suis bien reposé, j’ai pris tout le temps de penser à toi, car j’ai l’intention de te faire ma déclaration, ma grande déclaration. Je l’ai déjà écrite, elle est un peu plus loin. Avec le traitement de texte, tu peux revenir en arrière, ou aller en avant. Tu peux écrire où tu veux, c’est très sympa. En plus, tu n’as pas tout un tas de feuilles qui traînent à droite et à gauche. C’est propre, net, ordonné. Tu fais tes corrections sans rature, sans tache, sans gribouillis, c’est super. Aujourd’hui, je ne m’occupe pas de boulot, je ne m’occupe que de toi, que de toi et de moi. Un importun est venu me distraire au téléphone, j’ai pris rendez-vous lundi matin. C’est pour un boulot à Tours. Il y a peu, cela ne me posait pas de problème, j’avais même envie d’aller m’installer là-bas. Aussi ma candidature a-t-elle suivi son cours. Entre temps, j’ai réalisé que j’étais tombé amoureux de toi. Depuis que je t’ai vue dimanche dernier, je suis encore plus amoureux de toi, et cela s’aggrave de jour en jour. Je n’ai pas envie de m’éloigner de toi. Dans quelle région séjournes-tu la semaine ? Es-tu en région parisienne ou vis-tu en province quand tu ne viens pas travailler à Paris ? Je compte te voir dimanche prochain, et il faudra absolument que je pense à t’interroger à ce sujet.

Je vais essayer d’avoir un peu de délai car j’ai vu hier deux autres possibilités d’emploi sur la région parisienne. Si jamais tu passais le reste de la semaine avec ta fille du côté de Tours, alors là j’irai sans problème. De toute façon, le numéro de mon portable restera le même. Tu veux que je bosse. Bon, ben je vais aller bosser puisque Mlle Patricia le veut. Cela m'ennuie car avec ma faible santé actuelle, le temps qu’il me faut pour me reposer, quand vais-je pourvoir penser à toi ? Dans mes rêves. Je préfère rêver tout éveillé. Disons que cela me fera du bien de m’activer et que mes forces reviendront mieux comme cela. Au bout du compte, je retrouverai le temps de penser à toi. Après la prison, j’ai eu un accident où je me suis cassé les deux pieds. Je suis resté alité six mois. J’ai encore un peu mal aux pieds, ce qui fait que j’ai peu d’entrain à me déplacer, et il faut beaucoup d’heures de repos pour que mes pieds récupèrent. Enfin, cela s’améliore avec le temps, mais, pour les pieds, c’est ce qu’il y a de plus long.

Je viens de faire une balade, pour me bouger et m’aérer un peu. Quelle fatigue ! Je suis vraiment désolé, Patricia, de t’arriver dans un tel état. Moi aussi, je me suis brisé le cœur à beaucoup de choses. J’ai envie de ne rien te cacher. Je n’ai pas envie de me faire valoir, pas avec toi. Je t’étale toutes mes petites faiblesses. On vieillit. Dans vingt ou trente ans, il faudra nécessairement se tenir la main à l’hôpital. Cela arrive forcément un jour. Je voudrais que le premier de nous deux à mourir soit sûr que l’autre sera là pour lui tenir la main. Je ne veux pas être morbide, mais parler de la réalité de l’amour qui est d’être là tout au long de la vie, dans la santé comme dans la maladie, dans la fortune comme dans l’infortune, et, surtout, d’accompagner l’autre dans ces derniers jours. Savoir que tu pourrais mourir seule, sans que je sois là, c’est quelque chose d’atroce, ou que tu puisses être toute seule à l’hôpital. Si jamais cela arrivait, je te supplie de me téléphoner que je puisse venir te voir. Pour une fois que je pourrais être avec toi sans payer, crois bien que je ne vais pas rater l’affaire !

Je regarde ce soir, encore sur la cinq, une émission intitulée « La fin des mecs ». Peut-on encore s’aimer à notre époque, en pleine guerre des sexes ? Dis-moi que oui. Dis-moi qu’on peut avoir suffisamment de tolérance l’un pour l’autre pour accepter des partis pris diamétralement opposés. Je sais que je n’arrêterai pas de t’aimer pour cause de féminisme. Peux-tu me tolérer mon point de vue inverse ? Est-ce que l’amour entre deux êtres ne peut dépasser leurs conceptions politiques et sociales ? Ce vingtième siècle est vraiment le plus pourri de l’histoire du monde occidental. Avalanche de solitudes, guerre larvée ou carrément ouverte entre ceux et celles qui sont faits pour s’aimer. Je repense à ce que tu m’as dit dimanche dernier, combien tu étais effrayée en voyant les statistiques de la solitude. Tu m’avais demandé si je n’avais pas quelqu’un dans ma vie. Je t’ai dit que non. D’abord je ne viendrais pas te voir si j’avais donné ma loyauté à une autre femme. Ensuite, je ne suis pas un cœur d’artichaut, je ne suis pas non plus un dragueur ni un homme facile. Ce que je fais avec toi en t’écrivant ces lettres, je ne l’ai jamais fait avec aucune autre femme. Si tu me repoussais de façon définitive, je ne le ferais certainement plus jamais. C’est le genre de chose qu’on ne fait qu’une fois dans sa vie pour une seule personne. Bien sûr, j’ai déjà écrit à des femmes, mais jamais des lettres comme celle-ci. J’ai eu un premier amour auquel je suis resté accroché presque vingt-cinq ans, avec Claire dont je t’ai parlé. J’ai été marié et j’ai vécu quatre ans avec une certaine Jeanne qui m’avait mis le grappin dessus, et avec qui j’aurais pu rester si notre mariage n’avait pas été entaché de nullité, vu qu’elle était maquée soixante-dix heures par semaine pour un salaire ridicule par l’église de scientologie et qu’elle avait même signé un contrat invraisemblable, et pourtant bien réel, d’un milliard d’années avec le noyau central des membres de cette secte. (Il faut qu’elle revienne honorer son contrat dans ses milliers de réincarnations à venir pendant un milliard d’années. Lâche l’affaire, Homère !) J’ai eu quelques aventures, surtout dans mes années vingt, pas très longues. Une aventure un peu plus importante après mon divorce, avec une Christiane j’avais terriblement dans la peau, et qui ne voulait ni mari ni enfant. Celle-la, je l’ai aimé dans la douleur. Et puis des filles comme toi, surtout toi d’ailleurs. Voilà, c’est tout. J’ai bientôt 46 ans et déjà des dizaines d’années de solitude derrière moi, et je suis loin d’être le seul, il y a pire (si, si, c’est possible !)

J’ai été touché par ce que tu m’as dit. J’ai senti que tu le disais aussi bien pour toi que pour moi, et pour tout le monde. Je me doutais que tu n’étais pas une conne insensible et totalement inconsciente comme la plupart des gens. Cette confirmation m’a fait plaisir. Vu l’état matrimonial de notre civilisation, le prochain boom social, le prochain mai 68, et il y a en un depuis des siècles dans l’histoire européenne tous les 30 à 50 ans, ce prochain boom sera un grand boom, ce sera un grand boom-boom, genre e = mc2 (l’énergie contenue dans un corps est égale à sa masse multipliée par le carré de la vitesse de la lumière, Einstein), où m serait une constante matrimoniale et c le nombre de célibataires. Nous dansons sur un volcan.

J’avais deux rendez-vous hier. Le premier était avec un mec plutôt sympa, c’était agréable et cela s’est bien passé. Le deuxième était avec une de ces jeunes femmes actuelles qui se prennent au sérieux et qui m’a pompé l’air pendant une heure après m’avoir fait poireauter une autre heure. Elle n’arrêtait pas de me poser des questions, ne se gênait aucunement pour être désagréable, et il fallait que je réponde à tout ça avec une bonne contenance, au point que je n’avais pas du tout envie d’être embauché dans une telle boîte. Elle insistait sur les points qui lui semblaient négatifs sans avoir aucunement la politesse, le tact de rendre positif ce qui pouvait l’être, ne serait-ce que par un minimum de sociabilité. En fin d’entretien, et à ma grande surprise, elle veut que je revienne pour me présenter à son supérieur. J’espère que le prochain spécimen que je verrai dans cette boîte sera différent, aura un sourire, un peu d’humour, et me fera envisager autrement son entreprise qu’en bagne scolaire dirigé par des institutrices.

Dans les rues de Paris, il y avait un peu partout des affichettes pour une pièce de théâtre, je crois que c’était « Le Cid » de Corneille. Sur l’affichette, il y avait une superbe nana complètement nue chevauchant le corps tout aussi nu de son amant. La fille brandissait une grande épée moyenâgeuse en direction du corps de son amant qui semblait vouloir chercher à éviter la mort dans un sursaut. Rodrigue et Chimène dans le fantasme de l’immolation, le fantasme ultime. Je pense que tu dois connaître. Ce genre de publicité fera monter ton chiffre d’affaires. « Flat », j’ai pensé « flat » en voyant cela. C’est un terme anglais qui veut dire plat, et qui s’utilise dans des techniques psychologiques. Par exemple, on harcèle à plusieurs une personne sur un élément qui la fait réagir, comme tousser, rire, rougir, être mal à l’aise, jusqu’à ce que l’élément ne fasse plus du tout réagir cette personne. On dit alors que l’élément est « flat », aplani. J’avais repéré le fantasme d’immolation et le stress sexuel sur lequel le publicitaire comptait pour amener du monde à son spectacle, je n’avais pas réagi intérieurement, émotionnellement, sexuellement, en dehors d’un peu de colère contre le danger de l’utilisation d’un tel fantasme, et de commisération pour le pauvre Corneille et le siècle de Louis XIII. Louis XIII, l’un ne nos meilleurs rois, qui mérite sûrement la béatification, qui n’a jamais trompé sa femme comme saint Louis, qui a généralement été massacré par l’histoire car il n’avait aucune vanité, et à qui nous devons la plus grande part de la grandeur française, le pauvre roi une nouvelle fois humilié post mortem, et avec le fruit de son génie Corneille, par une bande de théâtreux en mal de spectateurs. « Flat », j’ai pensé « flat », aplani, et puis j’ai pensé que je baignais depuis quelque temps dans une tendresse amoureuse grâce à toi, et je me suis demandé si cela n’avait pas été le cas est-ce que cela aurait été aussi « flat » que ça ? l’éducation, la culture sexuelle et une liaison amoureuse, les trois réunies, étaient seules susceptibles de mettre à l’abri de telles agressions sexuelles. En l’absence de cette tendresse amoureuse, j’aurais été atteint mentalement, que je le veuille ou non. C’est donc principalement la tendresse amoureuse qui protège des atteintes érotiques, et la perte de la tendresse amoureuse envoie irrémédiablement l’individu dans le jeu des fantasmes érotiques.

Je t’aime, je t’aime, Patricia adorée. Mon intention n’était pas d’être désagréable avec toi en parlant de publicité qui fait monter ton chiffre d’affaires. Je sais que je peux parler des choses vraies de la vie avec toi. Tu sais ce que c’est que la vraie vie sexuelle des gens, cela n’a rien à voir avec ce qu’il raconte en général. Les hommes mentent concernant leur vraie sexualité. Leur vraie sexualité, toi tu la connais. Tu t’es éduquée en décidant d’en profiter financièrement. Tu connais l’envers du décor de la glorieuse superbe des mâles en matière de sexualité. Je sais ce que tu fais puisque nous l’avons fait ensemble. Un coup de cravache par-ci, un petit coup par-là. Non, plutôt ici. Comme vous voulez, mon bon Monsieur, le client est roi. D’un autre côté, cela ne doit pas être forcément facile pour toi de regarder amoureusement un homme droit dans les yeux, il y a comme une gêne. Moi aussi, je devrais être gêné envers toi. Je ne pourrais expliquer par quel miracle, mais il se trouve que je n’ai jamais ressenti une telle gêne entre toi et moi depuis tout le temps qu’on se connaît. Je peux te regarder droit dans les yeux, jusqu’au fond de l’âme, et te dire que je t’aime, et je sais que tu pourrais en faire autant. Cela fait longtemps que ce phénomène existe entre nous, et plus je suis amoureux de toi et moins il y a de barrière entre toi et moi.

On va voir si tu as bien compris la tactique que je t’ai apprise tout à l’heure. Après cette flambée d’érotisme, que fait-on pour essayer d’attraper le cœur si convoité de la belle adorée ? J’écoute, Mademoiselle Patricia, j’attends la réponse : — On embraye par surprise sur une percée sentimentale et on enfonce le clou très fort. — C’est très bien, Mademoiselle Patricia. Je vois qu’il y en a au moins une qui suit. Je vous préviens que je prends des noms, et qu’il y aura interrogation écrite la semaine prochaine !

Remarque que je ne suis pas que cynisme, je suis aussi très sincère et je t’aime vraiment, mon oiseau, mon ange, mon poussin. Pour l’effet de surprise, c’est raté cette fois-ci, ce qui ne veut pas dire qu’il faille se contenter de faire dans la dentelle. Accroche-toi à la rampe, Patricia, ça va tanguer.

D’après mon expérience de la vie, l’homme aurait, grosso modo, 10% de sexe et 10% de sentiment ; la femme, 10% et de sexe et 90% de sentiment. Il resterait à l’homme 80% affectés à d’autres choses pas encore très bien déterminées, mais il ne faut pas désespérer qu’on arrivera à savoir ce qu’il en est un jour ! La femme serait une sorte de machine à aimer ambulante, une tornade d’amour à deux pattes ! Presque tout en elle est sentimental. Il est difficile pour l’homme avec ces 10% de sentiment de comprendre la femme qui n’est presque que du sentiment, avec un peu de sexe au bout. La mythologie grecque raconte une histoire à ce sujet dans laquelle un héros ayant été homme et puis femme, dévoila le secret des femmes. Interrogé à ce sujet, il déclara qu’une femme prenait 7 ou 9 fois plus de plaisir que l’homme dans une relation amoureuse. Malheureusement pour lui, il fut puni par les déesses de l’Olympe d’une aussi terrible révélation. Il fut condamné et transformé en je ne sais plus trop quoi (ça lui apprendra à ouvrir sa grande gueule !). C’est sans doute ce qui fait que la femme est d’abord plus réservée que l’homme, parce que quand elle se met à aimer, cela prend une toute autre dimension.

Avec la décadence actuelle, il y a de plus en plus d’hommes qui se prostituent. Mais, à ma connaissance, on ne voit pratiquement pas d’homme se prostituer pour l’amour d’une femme, alors que l’inverse a toujours été le lot des femmes. Une femme est capable de se prostituer pour l’homme qu’elle aime, alors que l’homme est incapable de la réciproque. J’ai vécu dans l’intimité d’un proxénète pendant plusieurs semaines. Nous étions à deux dans une cellule à la prison de Châlons-en-Champagne (ex Châlons-sur-Marne), cela permet de bien de connaître. Il ressemblait beaucoup au premier couplet d’une de mes chansons sur la cassette que je t’ai donnée :

Il y’a un homme qui a tell’ment d’amis
Qu’il en ferait presque envie.
Il est jeune et beau, et, quand il sourit,
En un instant vous séduit.
Il a l’air si sûr de lui et si fort,
Il ne vous donne jamais tort.
C’est sans doute pourquoi personne ne voit
Son cœur sec et ses yeux froids.

Ce proxo a eu le temps de me raconter sa vie, et comment il était tombé dans un traquenard policier à Rouen avec son pote et deux gagneuses. Il était descendu de Lille à Rouen et s’était fait avoir comme un débutant en essayant de se remonter. Un quidam avait agressé une de ses filles, puis deux autres s’étaient joints à lui. Il s’était senti obligé d’intervenir avec son copain, et ils s’étaient fait coffrer car les faux agresseurs étaient de vrais policiers, et qu’il y avait encore d’autres flics planqués un peu plus loin. Sa chute remontait bien avant à cause d’une liaison sentimentale avec l’une de ses filles, ce qui avait commencé à lui poser des problèmes, comme sa perte de crédibilité auprès des autres filles. Cela avait fini par mettre en l’air tout son business sado-maso très bien organisé sur minitel à la frontière belge. Il recrutait ses clients en France par minitel mais les traitait en Belgique. Avec ce jeu sur la frontière, il était invulnérable, sauf que... L’amoureuse persistante est la perte du proxo. Le proxénète doit son pouvoir sur les filles au fait qu’il n’aime jamais, c’est ça qui les attire, c’est ce défi qu’elles veulent relever. Le proxénète doit rester indépendant pour faire croire tout ce qu’elles veulent à ses nouvelles proies. Une amoureuse persistante, c’est pire que la peste. La fille doit bien sûr l’aimer suffisamment pour se prostituer pour lui. Ensuite il faut qu’elle s’habitue, et d’abord qu’elle s’habitue à gagner pas mal d’argent. Le proxo ne lui pique pas tout son pognon, il lui en laisse suffisamment pour qu’elle en gagne trois, quatre, cinq fois plus qu’une secrétaire. Certaines se font de véritables fortunes. Il l’habitue aussi à claquer beaucoup de pognon, à le foutre en l’air. C’est la fête tous les soirs dans une orgie d’argent. La fille se sent puissante, elle tombe accro au fric. Elle va continuer de travailler sans plus avoir besoin de sentiment, et elle va laisser à son proxo les mains libres pour se tourner vers de nouvelles proies. L’argent facile est la drogue dont il est le plus difficile de décrocher. Celle qui fout la merde, c’est celle qui continue d’être amoureuse de son proxo au-delà de la norme. Et plus cela dure et plus le proxo est entravé. Le genre amoureux et bon père de famille n’a jamais fait rêver ses futures proies. Le mieux pour ses affaires, c’est qu’il la largue.

Maintenant je vais faire complètement dans les supputations. C’est un scénario que j’ai imaginé, qui n’est qu’une hypothèse plausible, peut-être très loin de la réalité, peut-être pas si loin. A partir du peu que j’ai pu apprendre sur toi, c’est-à-dire que tu avais fort souffert d’avoir été larguée par ton mec, que tu avais eu une fille, que tu avais arrêté la prostitution plusieurs années pour l’élever, j’ai imaginé ce qui suit. Ton mec, ou plutôt ton proxo, malgré tout l’argent que tu lui ramenais, a dû te larguer parce que ton amour persistant et sans limite était une source d’embrouille dangereuse pour son business. Tu mettais fin à sa carrière, et, lui aussi a besoin de rêver. Il ne voulait pas s’arrêter à Patricia, il a besoin de nouvelles proies. Les proxos, ce ne sont pas des bons, Patricia, ce sont des méchants, et les méchants ont besoin de continuer à être méchants. Les proxos ne sont pas sentimentaux mais ils ont compris à quel point les filles le sont, et comment s’en servir. J’imagine aussi qu’avant de te faire larguer, tu t’es arrangée pour te faire mettre enceinte par lui. Avec un enfant en otage, tu t’es dit qu’il te reviendrait. Tu as sa fille, il voudra la voir un jour ou l’autre, et tu auras une seconde chance. Tu n’avais pas prévu qu’avec ta maternité tu changerais, et que tu tomberais en amour pour ta fille. Besoin d’argent, tu reprends la prostitution, mais surtout tu sais que lui est un croqueur d’argent, et tu te dis qu’un jour il viendra te voir pour t’en demander et même te proposer de retravailler pour lui, et peut-être revivre ensemble comme au bon vieux temps. Je te vois très bien compter tes billets, et mettre un pactole de côté pour pouvoir tuer le veau gras au retour de l’enfant prodigue. Tu espères et tu attends.

Voilà ce que j’imagine. Je me trompe peut-être complètement. En tous cas, il y a suffisamment de choses dans cette histoire pour que je te trouve bouleversante, pour que tu m’émeuves à un point ! La plus grande amoureuse du siècle ! Je t’ai connue il y a des années, à tes débuts, je crois. Une fille magnifique, la plus belle que j’ai jamais baisée, et pourtant je n’ai pas couché qu’avec des moches. Des seins superbes, des jambes fuselées, un ventre plat impeccable, des fesses de toute beauté, un visage de madone et une chevelure éclatante. Une reine, une vraie reine, là, sur le trottoir. Tu étais tellement belle que tu me faisais peur. Aussi une sacrée croqueuse de pognon ; de ce côté-là, tu n’as pas perdu la main ! Encore qu’une fille banale, ou un boudin, fasse la pute parce qu’elle a flashé sur un mac, c’est hélas dans la nature des choses. Mais toi, une beauté comme toi, et pendant aussi longtemps. Tu as dû l’aimer à en crever dix fois par jour. Cet amour, cette abnégation, sont presque incroyables, inimaginables. C’est pourtant quelque chose de ce genre que je me suis laissé aller à lire dans l’encre de tes yeux, dans tes émotions, dans tes joies, dans tes tristesses, dans tes attentes. Je me suis dit, quel gâchis pour un connard qui n’en valait pas la queue d’une ; tellement d’amour pour un néant, pour un rien, pour une merde, pour un chien de la terre, pour un méchant, pour un piège à l’amour des femmes. Patricia, petite sœur, tu m’éblouis par ta faculté d’aimer. J’ai envie de te prendre la main et de t’admirer, toi, la plus fantastique amoureuse que j’ai jamais vue. Alors j’ai eu envie d’être aimé par toi. Plus que de t’aimer, j’ai désiré découvrir l’ouragan d’amour qui est en toi, j’ai désiré y entrer et m’y fondre. Sentimental ? Est-ce que je pourrai jamais aimer autant que toi tu peux aimer ? Qu’importe, ton amour, je le veux pour moi.

Voici, ma déclaration arrive. Je ne vais pas te promettre de t’aimer, de t’aimer toujours blablabla, mais je vais te promettre que tu pourras m’aimer comme aucun homme ne t’a jamais laissé l’aimer. Tous les hommes sont capables d’aimer, mais bien peu sont capables de se laisser aimer, surtout par une folle d’amour comme toi. Cela fait habituellement peur, et provoque la fuite du mâle. Tu ne me fais pas peur, Patricia, ou plutôt, tu ne me fais plus peur, et je n’ai pas non plus peur de ton amour. Je ne fuirai pas, jamais. C’est ça que je te promets. Tu es la plus raide dingue d’amour que j’ai jamais rencontrée. Voilà pourquoi je t’aime et je te veux toi, Patricia, toi seulement et aucune autre. Toi, unique, toi, incroyablement amoureuse, incroyablement passionnée. Voilà pourquoi je t’admire, pourquoi je te respecte, pourquoi je t’aime de toutes mes forces (ce qu’il en reste !), pourquoi je te chéris, pourquoi je te désire intensément, pourquoi je te regarde comme un joyau poli par l’amour, pour l’amour d’un autre mais par l’amour qui venait de toi. Je t’aime, je t’aime, je t’aime, petite sœur dans l’amour, petite sœur d’amour. Celui qui arrivera à être aimé de toi sera comblé de la plus grande passion de femme, de la plus grande tendresse amoureuse dont un homme puisse rêver, et, dans un égoïsme d’amant passionné qui n’a même pas honte d’être calculateur parce qu’en amour tous les coups sont permis, je veux être celui-là. Je ne veux pas moins que ce que j’ai vu en toi, que ce que j’ai vu dans ton cœur, dans ton regard triste et inquiet de l’avenir, dans ta douleur tendre d’oiseau tombé du nid, dans tes larmes qui ne coulaient pas et dont j’ai vu la trace torrentielle sur tes joues adorables et vieillies, recouvertes de fard ; je te veux, toi, Patricia, je veux ta passion, je veux que tu m’aimes comme toi seule es capable d’aimer, je veux ta tendresse infinie, ton amour incroyable, total, absolu. Je sais que je ne t’aimerai jamais comme toi tu es capable de m’aimer, pourtant je veux être aimé par toi. Aussi loin que je veuille aller, je dois me rendre compte que je ne t’aimerai jamais que comme un homme, avec des limites d’homme, pardonne-le-moi. Mais je respecterai et je bénirai tout l’amour de femme qui viendra de toi. Je te donnerai ma loyauté et ma fidélité. J’apprendrai prudemment à te connaître, j’aurai de la patience, je veillerai sur toi et sur ta fille, je m’inquiéterai pour vous, je penserai à vous. Je te laisserai devenir de plus en plus amoureuse de moi, au point que tu en arriveras à croire que tu n’avais jamais aimé avant moi. Je me demandais à quoi je pouvais bien servir ? Si, je peux servir à être aimé par toi. Je veux être ton chéri, ton nounours, ton teddy-bear, comme dans la chanson d’Elvis Presley « I wanna be your teddy-bear » (Je veux être ton ours en peluche). Je pense que je fais un bon candidat, et j’ai la fatuité de me trouver meilleur qu’un autre. Je veux que tu puisses avoir envie de marcher à genoux devant moi, et que je te regarde le faire en souriant comme on regarde le dessin d’une petite fille. Je veux te rendre follement heureuse. Je veux te promettre de te laisser m’aimer autant que tu le voudras. Je veux que ta puissance d’amour puisse se répandre entièrement, sans aucune barrière. Je veux que tu sois complètement illuminée de ce feu d’amour qui brille en toi, comme un diamant à l’intérieur de toi. Je veux pouvoir te regarder comme le plus pur et le plus parfait des joyaux, comme une couronne d’amour ceinte sur ma tête d’amant indigne et néanmoins élu.

ENTR’ACTE

Je mets « ENTR’ACTE » comme ça, bien au milieu de la page, pour t’indiquer, mon ange, que là il faut faire une pause, arrêter de lire un moment, boire un verre, faire un tour, faire autre chose avant de poursuivre. C’est comme ça, c’est l’entracte. Veux-tu bien le faire pour moi ? Je t’en remercie.

Vendredi j’ai terminé ce que j’avais commencé jeudi. Jeudi, j’avais fait le début et la fin ; vendredi, le milieu. Je remonte de forme, mais tu te rends compte du boulot que tu me fais faire. J’en suis lessivé. Je n’ai jamais fait ça pour une nana et je ne recommencerai pas une deuxième fois, je te le jure, tu peux compter sur moi ! Je ne veux pas faire de la littérature, je veux faire ça uniquement pour toi. Si tu veux me vexer, fais lire une seule de ces lignes à toi seule adressées à quelqu’un d’autre. Je ne veux pas que cela puisse jamais être édité, c’est quelque chose d’intime qui t’es réservé. C’est une sorte d’œuvre d’art presque secrète dont tu es le seul public. Ma première lettre était sans doute maladroite et susceptible de te courroucer. J’espère que cette deuxième lettre trouvera un peu d’indulgence à tes yeux. J’espère que je ne te fatigue pas trop avec mon roman d’amour, et que je serai peut-être un jour payé de ma peine. Je me dis qu’entre roman et romance, il n’y a pas loin. Ce léger glissement se produira-t-il un jour ?

Samedi. J’ai envie de sortir et je me sens en forme. Je fais quelques courses en voiture. Pour changer, je ne pense qu’à toi. Une femme est au volant de la voiture d’à côté, je t’imagine à sa place. Je rentre et je fais un peu de course à pied. Il faut que je m’occupe de mon corps pour moi et aussi pour toi. Je voudrais être dix fois mieux que je ne le suis. J’essaie de joindre une amie au téléphone. Elle avait la grippe dernièrement. J’aimerais avoir de ses nouvelles. J’appelle plusieurs fois et c’est toujours occupé. Je laisse tomber. Difficile de penser à toi et à elle en même temps. C’est une bonne copine, elle s’appelle Vénorika. C’est elle qui m’avait pratiquement violé un soir où elle était super défoncée. Elle a fait une cure de désintoxication, et fait depuis une crise de chasteté. Cela ne me dérange pas, c’est une amie. Je n’ai pas de désir sexuel pour elle comme j’en ai pour toi. Je lui ai dit que je n’étais pas amoureux d’elle, je n’ai pas de passion, je l’aime bien comme une amie. Alors que je suis passionnément amoureux de toi, Patricia. Pourquoi faut-il qu’on aime toujours celui ou celle qu’on ne devrait pas ? Est-ce que c’est toujours comme cela ? Est-ce qu’il arrive toujours dans un couple que l’un soit vraiment amoureux et pas l’autre, qui se laisse seulement aimer ? Est-ce qu’il existe des couples où les deux sont passionnément amoureux l’un de l’autre ? Je me dis que je ne veux pas de ton amour de confort. Si tu ne tombes pas passionnément amoureuse de moi, je ne voudrais pas de toi. Si tu te contentes de te laisser aimer, je n’aurais pas ce que je veux de toi. Je veux que tu souffres, que tu en crèves, au moins autant que moi, et même beaucoup plus. Ça t’apprendra à provoquer un amour comme ça. Ça sera bien fait ! Je veux que tu doutes de toi. Je veux que tu te trouves indigne, minable, incapable, impuissante, vieillie, moche, nulle. Je veux te voir pleurer, le cœur meurtri, avec de la bave plein la bouche comme un bébé. Je ne te passerai même pas un mouchoir, pas un kleenex. Je voudrais te voir traverser une par une toute la gamme des pires cruautés sentimentales. Je voudrais pouvoir être sûr que tu m’aimes. C’est sympa l’amour !

Je vais voir mon ami Mohamed à l’étage au-dessus. D’habitude, c’est plutôt le dimanche que je lui rends visite. Mais comme on boit pas mal et que je compte te voir demain, je préfère le voir aujourd’hui. A coup de whisky, on parle des femmes. Evidemment, je me mets à délirer sur toi. Evidemment, il me dit que je suis fou. Il me vante les mérites de Véronika, et me fait comprendre que je ferais bien mieux de me consacrer à elle plutôt qu’à toi. Tu parles, comme si cela était possible ! Je lui dis que je vais bientôt retravailler. Il me fait comprendre que je vais travailler pour me faire bouffer mon pognon par une fille comme toi. Je promets d’être raisonnable. Je sais que ça n’a rien de raisonnable. A la fin de la soirée, je suis passablement beurré. On a vidé la bouteille, et terminé sur une pointe de fatalisme orientale : on n’est jamais aimé de la personne qu’on aime !

Plus tôt dans la journée, j’ai passé un moment devant mon ordinateur. J’ai repensé à ce phénomène d’anesthésie sexuelle qui dure depuis la dernière fois que je t’ai vue. Je t’aime, je te désire passionnément, et je suis devenu incapable de te tringler. Je ne me sens capable de faire l’amour avec toi qu’après une longue période où je serais sûr d’être aimé par toi, et seulement si je vois que tes sens ont besoin de moi, seulement si je reçois l’appel de ton corps. Je me dis que je viendrais peut-être, et sûrement, de nouveau te violer contre de l’argent. Je voudrais que tu arrêtes, que tu arrêtes de faire la pute, que tu en termines une fois pour toutes. Je ne t’en veux pas de l’avoir fait puisque je ne t’aurais pas rencontrée autrement. Je sais que si j’avais été une femme, avec mon tempérament et ma curiosité pour tout, j’aurais sûrement fait le trottoir. Maintenant, tu sais tout ce qu’il y a à savoir. Tu n’as pas besoin de tout cet argent pour t’en tirer et être heureuse. Tu es une amoureuse avant tout, merde ! Si ton connard de mec revient, et il reviendra pour vider ta caisse, ce sera pour te faire encore plus de mal. Laisse tomber, Patricia, décroche, lâche l’affaire. Pense à ta fille qui va bientôt avoir l’âge de raison. Tu veux qu’elle vienne te retrouver rue Blondel ? Tu veux que plus tard elle apprenne à jouer aussi finement que toi avec le sexe et le cœur des hommes ? Tu sais que toutes les filles ne sont pas comme toi, qu’il y en a un bon nombre qui ne s’en relèvent pas, que ce face à face en chambre close n’est pas si innocent que ça, de part et d’autre. Il y a des filles que cela peut rendre folles. En ce qui te concerne, tu as suffisamment donné, tu peux passer à autre chose. Je ne veux pas te resservir l’antienne rédemptrice (le couplet rédempteur), je veux te dire que c’est sans espoir. Il y a des méchants dont la force est dans leur incapacité à aimer. Tu n’appartiens pas à cette race, c’est seulement quelque chose d’attirant, de magnétique, d’envoûtant. Tu crois avoir affaire à une puissance mâle parce qu’avec cet homme rien ne craque devant toi, devant ta superbe beauté, devant tout ton amour, alors que tous les autres hommes t’apparaissent tellement faibles. Ce n’est pas un puissant, c’est un prédateur dont tu es la proie. Il t’a faite prédatrice d’hommes parce qu’il est prédateur de femmes. Cesse d’être comme lui, de lui ressembler au féminin. La nature t’a dotée d’un physique incroyablement beau, deviens un peu plus indulgente pour ceux qui ne sont pas immunisés contre ta beauté. Laisse couler la charité qui est en toi, et donne-toi un peu plus à ceux qui peuvent t’aimer. Enlève cette distance, range ce mépris. Tu es incroyablement belle, et ce n’est pas méprisable de craquer pour toi. Tu devrais travailler quelques temps dans une association caritative, pour pouvoir laisser couler toute cette charité qui est en toi. Je sens une telle bonté à l’intérieur de toi, que j’ai l’impression qu’elle va t’étouffer si tu ne trouves pas moyen de la laisser se répandre. Heureusement que ta fille est arrivée ! J’ai vu ce que tu ressentais pour elle. Il faut voir la façon dont tu en parles, tu redeviens toi-même ; là, tu es la vraie Patricia. Tu n’appartiens pas à la race des prédateurs mais à celle des proies. Accepte-le. Cela n’a jamais rien de méprisable d’aimer, même à ce point. Et surtout, n’oublie pas en planifiant ta reconversion de me faire savoir où je pourrais te joindre. Même si tu ne tombes jamais amoureuse de moi, ne me laisse pas tomber comme ami, s’il te plaît, que je puisse parler avec toi de temps en temps et avoir de tes nouvelles. Il n’y aurait rien de pire pour moi que si tu disparaissais complètement de ma vie. Ne me fais pas le coup de me priver à jamais du plaisir de te voir.

Voilà ce que j’ai écrit au réveil en repensant à notre dernière rencontre : Toute énergie se retire de mon sexe pour permettre à mon âme de bander complètement pour toi. C’est quelque chose de très doux, un ravissement, une sorte d’extase. Je comprends maintenant les histoires de jeunes mariés tellement amoureux de leur femme qu’ils n’arrivent pas à consommer le mariage pendant parfois plusieurs mois. Je me dis que tu as déjà dû provoquer cet effet sur d’autres hommes avant moi. Cela m’est déjà arrivé de ne pas pouvoir faire l’amour à une prostituée parce qu’elle était ou avait fait quelque chose qui me déplaisait. Mais toi, c’est l’inverse, tout me plaît en toi, et tu es la première à me faire cet effet-là. Pourtant j’ai un plaisir immense à être là, nu à côté de toi, presque aussi nue. Je te regarde faire ton travail avec application. Tu prends mon sexe dans ta bouche avec douceur et dextérité, tu me caresses et tu passes ta langue, tu es parfaite. Au lieu de désir physique, je me sens pris d’une grande amitié pour toi, tu me donnes envie de rire. Je ressens un intense bonheur d’être avec toi. J’ai envie de te couvrir de baisers légers. Tes seins que j’aime aussi mordre, j’ai envie de les embrasser avec douceur. J’ai besoin de prendre ta main et de l’embrasser partout, sur chaque doigt, sur le dessus, à l’intérieur de la paume. Cette même main qui m’a déjà frappé, j’ai besoin de la mettre sur ma joue, et de te regarder. Je vois tes yeux, ton visage, tes lèvres, ton sourire. Je parle avec toi. Toutes mes antennes sont tendues vers toi, je reçois chaque information. J’entends ta voix dans un instant magique. Je sais qu’il est minuté et que tu vas bientôt reprendre le contrôle de la situation en professionnelle. Pourtant le temps s’étend comme si les secondes étaient des minutes, et les minutes des heures. Je t’aime, je t’aime, je t’aime. Je voudrais pouvoir parler toute la nuit avec toi, jusqu’à ce que tu t’endormes, je te borderais, je remonterais sur toi les draps et la couverture. (Aujourd’hui je pense au film « Le vieux fusil » avec Philippe Noiret et Romy Schneider. Il y a un passage dans lequel le mari, Philippe Noiret, avoue à sa femme, Romy Schneider, qu’il se réveille toutes les nuits pour la regarder dormir. Alors Romy le regarde, et, prenant faussement un ton de reproche, lui dit que ce n’est pas vrai, qu’il y a quelques nuits où il ne l’a pas fait. Il faut voir ensuite la tête de Philippe Noiret qui découvre que sa femme le savait, et qui se fait rabrouer pour les quelques nuits manquantes. C’est mignon à croquer !) Je voudrais apprendre tout ce que je peux sur toi, t’écouter, parler un peu de tout, de toi, de moi. Et puis surtout, entendre ta voix, ton timbre si particulier dont je connais quelques expressions, j’aimerais les connaître toutes. J’aime les filles qui parlent, j’aime entendre leur voix de femme. Les silencieuses m’inquiètent toujours un peu. Je me lève finalement pour t’éviter de le faire avant moi. J’ai aussi un chronomètre dans la tête, j’essaie de compter avant toi pour ne pas me heurter aux implacables usages. Je conserve l’image de tes lèvres. Je rêve qu’un jour j’y poserai les miennes. (Rassure-toi, il faudrait que ce soit toi qui me les tendes en premier. Je sais qu’une prostituée n’embrasse pas, qu’elle garde cette intimité pour préserver sa vie sentimentale.) Je voudrais que tu sois amoureuse de moi. Je voudrais poser mes lèvres sur les tiennes, doucement, passionnément, sentir tes lèvres et ta langue me rendre mon baiser avec réserve, presque avec peur, t’embrasser pour la première fois comme si tu étais une collégienne, comme si c’était ton premier baiser, notre premier baiser.

Dimanche. Jour fatidique. C’est ce soir que j’ai décidé d’aller te revoir. J’hésite, je me dis que c’est trop tôt, que je vais te submerger, que je risque de t’agacer, que je devrais laisser passer plus de temps, au moins deux semaines, mais c’est ce que j’avais prévu en te consacrant cette semaine de ma vie. Quand l’histoire avec cette autre Patricia qui aurait une toute petite chance d’être toi, quand cette histoire a commencé à me turlupiner, je me suis dit que je te verrai la semaine prochaine pour savoir ce qu’il en est. Hier, samedi, je me suis dit que je n’étais pas prêt, que j’avais encore un tas de choses à te dire, à t’écrire ; mais non, cette deuxième lettre contient tout ce que je voulais te dire. Encore quelques lignes que j’ai déjà à peu près dans la tête, et, après, il faudra que cela s’arrête. Je ne suis pas comme toi. Mes quatre-vingts autres pour cent m’appellent. Cette semaine aura été la plus belle de ma vie, mais, au-delà, ce serait du suicide. A ma place, je te vois très bien continuer. Il y a des femmes qui ont aimé jusqu’à en devenir folles, Adèle, l’une des filles de Victor Hugo, Camille Claudel, et combien d’autres... Je vais bientôt me remettre à travailler, je sens que c’est bien parti. Je vais peut-être accepter ce boulot à Tours. Je pourrais monter te voir à Paris le week-end. Si jamais tu te décidais à m’appeler, mon portable marche aussi bien là-bas avec le même numéro. J’ai surtout besoin de t’entendre, de t’avoir au téléphone. Voilà, c’est bientôt terminé. Pas tout à fait parce que je ne t’ai pas encore demandée en mariage. Je veux t’épouser, Patricia. Aussi ai-je l’insigne honneur de te demander ta main. Je voudrais me marier avec toi. De préférence après une assez longue période de fiançailles. Pas obligatoirement très longue, mais qui nous donne le temps de nous mettre tous les deux sur un bon pied. Je me vois mal vivre du jour au lendemain avec toi, je serai mal à l’aise et toi aussi certainement. Nous ne sommes plus tout jeunes, nous avons chacun nos habitudes de vie. Il nous faut le temps de nous connaître, de nous reconnaître. J’ai pris l’habitude de vivre avec la télévision allumée en permanence. Elle marche en ce moment. Il y a des filles qui détestent ça, d’autres font comme moi, d’autres préfèrent les disques ou la radio. Je n’aime pas beaucoup le silence à la maison. Je n’aime pas non plus que la télé supplante la vie familiale, ce n’est qu’un instrument qui meuble le silence, et je préfère écouter d’abord les voix de ceux qui vivent avec moi. Je trouve ça sympa pour faire des pauses, et pour se serrer l’un contre l’autre ! Nous nous connaissons si peu l’un l’autre, et puis il y a ta fille. Si tu te laissais aller à m’aimer, il me faudrait le temps d’être transformé par ton amour. Je sais que je changerais, que je verrais les choses autrement qu’aujourd’hui. Je vais prendre une place en fixe, me caser quelque part question boulot. Je ne vais plus me lancer dans des aventures difficiles comme de travailler à mon compte, en tous cas pas dans l’immédiat. Je ne vais plus travailler comme un dingue, je vais prendre un rythme de vie plus normal. Je vais me rendre disponible pour une vie sentimentale. Je vais terminer ma période de réclusion et me relancer dans le monde. Le RMI m’aura peut-être désintoxiqué de l’argent, espérons. Mais enfin, c’est un peu juste quand même.

Hier, j’avais une horrible douleur au ventre en pensant à jusqu’où j’étais allé dans ma première lettre. Te proposer de te fouetter, ce n’était pas forcément très délicat. Tant pis, tous les coups sont permis pour essayer de te toucher, pour arriver à t’atteindre. L’attirance pour la violence sexuelle est d’autant plus importante que la sentimentalité est développée. Tu as fait partie de mes fantasmes érotiques pendant de longues années. Tu n’es pas une idiote, encore moins une innocente, et tu ne manques pas non plus de sensualité. Alors j’attaque, n’importe quel plan, aussi mauvais soit-il, vaut mieux que pas de plan du tout. Maintenant, j’en ai fini avec les fièvres érotiques suivies de bouleversantes percées sentimentales. Quoique j’aimerais bien te refaire un plan de ce genre en tête-à-tête dans un lit, un jour comme ça, par surprise, mais seulement après que tu auras décidé de faire ta vie avec moi. J’ai fait du mieux que j’ai pu. Mon ami Mohamed me dit que j’aurais dû te remettre juste quelques mots du genre « Tu me plais. J’aimerais te revoir. », avec mes coordonnées. Je n’y crois pas, et ce n’est décidément pas mon genre. Il a fallu que je m’étale, désolé. « Comme une couronne d’amour ceinte sur ma tête d’amant indigne et néanmoins élu », c’était quand même fort, non ? J’en pleurerais presque, tellement c’est beau ! C’est pourquoi j’ai mis « Entracte » après cet instant de paroxysme. Quand je m’y mets, je n’y vais pas pour cueillir quelques pâquerettes en passant. Mais je ne vais plus t’écrire de cette façon effrénée. Non pas que je ne vais plus t’aimer, mais parce que je crois t’avoir communiqué toute mon amitié, toute ma fraternité, toute ma tendresse, tout l’amour que j’ai pour toi, et toute l’envie que j’ai d’être aimé par toi. Je te parlerai plus directement quand je te verrai. Je vais arrêter d’essayer de voler ta vie sur trois mots, sur une respiration, sur une trace d’émotion, sur un sourire. Je vais te laisser ta vie et repartir dans la mienne. Si tu m’appelles un jour, j’en serais sûrement étonné. Etonne-moi, Patricia, parce que les longues années de solitude me paraissent exécrables, je les déteste.

Tu me disais que tu es très « traditionnelle ». Alors soyons traditionnels jusqu’au bout. Les filles comme toi en terminent bien un jour, et, « traditionnellement » elles se retirent avec un de leur ancien client. Ceux qui ont le plus ramé pour elles ont généralement le plus de chance. Je ne dis pas que je galère, mais j’en fais pas mal non plus. Disons que j’essaye de me positionner en pool position.

Voilà, c’est terminé, mon amour. Je te couvre de mille baisers très tendres. Je penserai chaque jour à toi et à ta fille. Je te remercie de m’avoir lu jusque là.

Michel.

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