Troisième partie
M. Michel ROMAIN |
Patricia |
23, rue du Jour
91230 Yerres
Tél. 06.84.52.24.07
Patricia chérie,
Mon amour, mon ange adoré, j’ai dit que je ne t’écrirai plus de façon effrénée mais cela ne veut pas dire que je vais vraiment pouvoir me priver de continuer à te parler, et puis, tu me rends tellement heureux ces derniers temps qu’il faut que je te dise quelque chose. Je crois aussi que mes petits mots ne te déplaisent pas trop non plus, et que leur absence pourrait te manquer. D’abord je t’aime, je t’aime, je t’aime, comme un fou, comme un malade, mais aussi comme un bienheureux. Quand est-ce qu’on se marie, Patricia ? Je crois de plus en plus qu’on est fait l’un pour l’autre. Tu me plais absolument, je t’aime absolument (« I absolutely love you », c’est dans une chanson de David Bowie). Il faut que tu me donnes la photo que tu m’as montrée, où tu es avec ta fille. Je te promets sur ma vie que je ne la montrerai jamais à qui que ce soit, et qu’il n’y aura que moi seul qui pourra jamais la voir. Je te le jure. J’ai envie d’aller travailler pour toi et pour ta fille. Les hommes sont faits pour bosser pour les nanas, et c’est pour vous deux que je veux travailler. Je m’occupe de mon boulot pour arriver à faire quelque chose de stable et d’intéressant, qui puisse évoluer. Pour ça, le boulot à Tours m’intéresse vraiment, car il y a toute une structure derrière qui peut me permettre de monter jusqu’au top de l’informatique, si je veux, en tous cas plus loin qu’actuellement.
Je t’aime trop, et parfois je me dis que je ne t’aime pas assez. Qu’est-ce que tu en penses, mon amour ? Je suis vraiment bien avec toi. Quelques instants, mais quel bonheur ! Je commence à croire que tu as un peu d’affection pour moi, un peu de tendresse, que je ne te déplais pas complètement, que tu ne me « hais point », comme disait Chimène à Rodrigue. Je me laisse aller à espérer. Tu m’épouses quand tu veux. Au fait, j’aimerais un mariage à l’Eglise catholique, c’est celui qui compte pour moi ; est-ce que c’est possible pour toi ?
J’ai envie de te rendre la plus heureuse des femmes, et, en même temps, je voudrais que tu sois la plus
malheureuse de toutes. Imagine, par exemple, que je sois un monstre, un pervers
de la pire espèce, qui relèverait une sorte de défi, genre le dernier jeu de
rôle à la mode dans le milieu branché des psyco-intello-déjantés. Ça pourrait
être possible. Qu’est-ce que tu en sais ? Tu connais quoi sur moi ?
Un numéro de portable ? Tu crois qu’on peut faire confiance à quelqu’un en
ce bas monde ? Le jeu consisterait à s’emparer du cœur d’une femme, à la
faire craquer en lui faisant un plan sentimental d’enfer. Le jour où la mariée
se pointe à la mairie, plus personne : poisson d’avril ! Si la
victime se suicide, le joueur gagne un super bonus. Suivant le profil et l’état
final des victimes, suicide, asile psychiatrique ou cure de repos, on attribue
différents points. Crimes parfaits, la seule poursuite juridique possible pour
dédit de promesse en mariage est dérisoire : une contravention ;
c’est dire que l’immunité totale est assurée. Le gagnant étant celui des
joueurs qui a marqué le plus de points à la fin de la partie. Et toi, comme la
dernière des connes, tu marches peut-être tout droit vers la folie ou vers
mort. Parfois, je voudrais que tu souffres atrocement à cause de moi. Pas
quelques coups de fouet, mais des machins horribles qui te déchirent l’âme, qui
fassent de toi une vraie paumée, au fin fond de la déchéance physique et
morale. Je t’aime, je t’aime, je t’aime. Je voudrais que tu sois toujours
inquiète, sûre de rien. Je veux que tu m’aimes comme une malade, comme une
timbrée, comme une dingue. Je ne veux pas que tu en profites, à te la couler
douce, peinarde dans un fauteuil affectif bien doux, bien ouaté, parce que j’ai
le malheur de t’aimer. Tu ne m’aimeras jamais complètement parce que je t’aime
trop, ou pas assez, ou pas bien, je ne sais pas.
Mardi 21.
Ouais, super ! Je suis allé à Paris hier pour passer des tests d’embauche avec entretien. J’ai ai eu pour près de trois heures. Le gars vient de me rappeler à 12 h 30 pour me dire que la réponse était positive et qu’il m’envoyait ce soir mon contrat. C’est pour le boulot à Tours dont je t’ai parlé. Cette boîte travaille un peu partout sur la France. Je peux très bien être à Paris ou ailleurs dans quelques temps. Je compte quand même sur un an ou deux à Tours. C’est ça leur besoin actuel, et il faut que je rende service à la boîte avant d’avoir des exigences. Je pense à toi, je t’aime. Je voudrais que tu sois à côté de moi pour te faire plein de bisous. Le mec qui t’aime sort de sa retraite RMIste où il planait allègrement depuis quelques mois. Mon salaire d’embauche est de 12 500 F mensuel, plus mutuelle familiale et différents avantages par le comité d’entreprise. Certes, ce n’est pas la fortune, mais c’est correct. Cela peut suffire pour une petite famille. Tu pourrais choisir entre travailler ou te consacrer à ta fille et faire d’autres choses qui t’intéressent. On pourrait aussi agrandir un peu la famille, si tu le veux. Si tu choisissais de bosser, cela nous ferait dans les 20 000 F. Que demande le peuple ? Un petit boulot sympa et une gentille nana. Ça avance bien côté boulot, peut-être que ça va avancer aussi bien côté gentille nana. Tiens, pendant que j’y pense, il y a une chose que j’aime chez toi, c’est que tu es juste à la taille que j’aime. Tu n’es ni trop grande ni trop petite par rapport à moi, la taille idéale pour me pencher un peu sur toi en t’embrassant, pour danser le slow avec toi et sentir tes bras légèrement pendus à mon cou. L’amour est une question de centimètres. Ça n’a l’air de rien, mais ça compte. Je trouve que nous formons un assez joli couple, surtout moi qui suis plutôt beau gosse ! Je t’aime pour tes centimètres. Finalement, mon amour pour toi, ce n’est peut-être rien qu’à cause de ça ! Mais qu’est-ce que je me suis senti amoureux de toi, en te faisant la bise pour te quitter dimanche dernier, et que tes joues se sont posées exactement sur les miennes ! Tes joues, et tous tes cheveux, wow ! Je t’adore.
Je repasse à Paris demain pour prendre des documents qui se rapportent aux ordinateurs du site de Tours.
Il va falloir que je me mette à étudier tout ça. J’en meurs d’envie, en fait.
Je vais avoir moins de temps pour t’écrire. Je ne vais pas pouvoir trimbaler
facilement mon ordinateur à Tours, ce n’est pas un portable. (Je ne suis plus
capable d’écrire sans ordinateur, je suis un mutant informatisé, bip-bip !
Je--suis--un--ordinateur--de la-troisième--génération--bip. Je--suis--tombé--amoureux--de--vous--,
Patricia--bip. Mais--le--concepteur--maîtrise--parfaitement--la--situation--bip.
Tout--va--très bien--se passer--bip. Notre--équipe--d’analystes--a--déjà--cerné--l’origine--du--problème--bip .
Il--s’agit--d’une--erreur--de--programmation--dans--une--sous-routine--du--progiciel--affectif--bip.
Quelque--chose--de--déconcertant--dans--les--données--reçues--provoque--une--boucle--en--expansion--dans--le--traitement—central--bip.
Nous--testons--actuellement--les--modifications--à--apporter--dans--la--liaison--entre--la--sous-routine--du--progiciel--affectif--et--le--programme--principal--bip.
Nous--serons--bientôt--en--mesure--de--vous--apporter--pleine--et--entière--satisfaction--bip--bip.)
Je peux peut-être essayer de transporter une partie de mon matos. Je verrai
comment me débrouiller sur place. J’aurai un peu plus de 6 000 F par mois
de frais de déplacement, ce n’est quand même pas la galère. Et le week-end à
Paris, où je pourrai te voir dès que j’aurai remonté mes finances. Il va falloir
que je leur demande de m’avancer les frais de déplacement en liquide, car je
n’aurai que 3 000 F devant moi si je commence début mai, comme cela doit
sûrement être le cas. Avec l’hôtellerie, la restauration, et les frais de
déplacement, je vais vite être à sec. Il faut aussi que je remonte ma
garde-robe, je n’ai pas grand-chose à me mettre, et ça la fout mal vis-à-vis du
client chez qui je vais travailler. Mais je ne crois pas pouvoir me passer de
te voir trop longtemps. « Tu es ma came, ma dope, mon amphétamine, ma
cocaïne, mon héroïne » (M. C. Solar). Une ligne, vite !
Mercredi.
Ça prendra le temps que ça prendra mais tu vas tomber amoureuse de moi à en crever, ma pauvre Patricia. Je le sens, il le faut, il ne peut en être autrement. Je suis follement heureux rien que de penser à toi, alors il faut que tu m’aimes, que je sois ton unique, ton chéri, ton seul adoré. Toute résistance serait vaine et inutile, vous êtes cerné, nous avons les moyens de vous faire parler, rendez-vous ! D’abord, tout joue contre toi, à commencer par toi-même. Plus je te voie et plus tu me donnes la force de te conquérir. J’ai une alliée de taille dans la place. Tu devrais me faire payer au moins dix fois plus cher parce que je t’assure que je t’arnaque complètement. Je te vois une fois de temps en temps mais c’est comme si tu étais tout le temps avec moi. Prends ta calculette, multiplie ton tarif horaire par je ne sais combien d’heures, et dis-moi combien je te dois. Une fortune, sûrement. Je t’aime, je t’aime, je t’aime. En plus, le bonheur que tu me donnes me fait gagner plein d’argent. J’avais l’air tellement heureux, tellement bien dans ma peau, lundi matin après t’avoir vue dimanche soir, que le gars n’a pas pu s’empêcher dans me vouloir dans sa boîte. Je suis vachement bien de t’aimer, de penser à toi, ma Patricia adorée, je suis aux anges, et je marche vers toi en vainqueur car il ne peut en être autrement ; en quelque sorte, c’est toi-même qui me le dis. C’est toi qui me dis : fais ma conquête, sois le plus malin des amoureux, écris-moi et sois le plus talentueux et le plus génial des écrivains pour moi seule, sois le plus gentil et le plus vindicatif à la fois, tourne-moi la tête et mets mon cœur à genoux, rends-moi follement amoureuse de toi car j’ai besoin de t’aimer, de t’aimer terriblement. Et moi je te réponds : d’accord, j’arrive, c’est comme si j’étais déjà là. Je suis là, mon ange adoré, et je serai toujours là pour toi. Je ne te quitterai jamais, jamais, jamais. Je ne te trahirai jamais, jamais, jamais. Je ne t’abandonnerai jamais, jamais, jamais. Je t’aime exactement comme tu en rêves, et même encore plus. Je serai à toi, et rien qu’à toi, toujours, toujours, toujours.
Je suis passé à la boîte, elle s’appelle VILEBREQUIN (pourquoi pas ?). C’est une société d’informatique
sise à Paris, dans le 16e. Je commence lundi prochain 28/04. J’en
suis revenu avec trois gros bouquins à étudier. Il faut que je frime un max
devant toi, que j’ai l’air d’un mec sérieux. Mais je suis sérieux, mon amour.
Je vais peut-être un peu moins t’écrire car il faut que je me plonge dans ces
livres. Je te remercie de m’avoir dit dimanche dernier que tu avais lu ma
première lettre. Je n’ai peut-être fait semblant de rien, mais tu m’as vraiment
vraiment fait plaisir. Je crois que j’aurai toujours besoin de t’écrire. Même
si un jour, comme je l’espère, nous vivons ensemble, j’aurai toujours besoin de
te glisser des petits mots, de temps en temps, pour que tu penses à moi quand
je ne suis pas là ou pour me rapprocher un peu plus de toi. Cela fait partie de
ma façon de t’aimer. Je te remercie vraiment de prendre la peine de me lire.
Mercredi 23 h.
Cela va mal, Patricia. J’ai un gros coup de cafard. Autant je me sentais sûr de toi et de moi tout à l’heure, autant je ne suis plus sûr de rien. Tu me manques. Mon portable qui ne sonne toujours pas avec toi à l’autre au bout. J’ai mal, j’ai mal de toi. Je me dis que je ne suis peut-être qu’un parmi tous les clients qui sont tombés amoureux de toi. Il doit y en avoir un troupeau, tu as dû en faire battre des cœurs. Pourquoi réussirais-je à t’avoir, moi ? Tu dois me trouver touchant et gentil, mais ce n’est pas cela qui m’ouvre les portes de ton cœur. Quand réussirai-je à t’avoir pour moi ? J’espère au moins ne pas être emmerdant. Je suis en train de te la jouer à la pitié, c’est lamentable. Combien de temps va-t-il falloir que je tienne ? C’est la traversée de l’Atlantique à la nage. Sonne, mon petit téléphone, sonne. Sonne et dis-moi que c’est toi, que tu as juste envie de parler, d’avoir de mes nouvelles. Sonne et dis-moi que j’arriverai à te convaincre de se voir ailleurs que rue Blondel, que tu veux bien qu’on essaie de se connaître un peu mieux. Je ne sais rien sur toi, Patricia, que des suppositions, que des hypothèses, hypothèse d’une grande amoureuse, d’une femme formidable. Même si tu n’es rien de tout ça, je t’aime quand même. Je sais que tu as un cœur, un cœur qui vibre, un cœur grand comme ça, je l’ai vu quand tu parles de ta fille. Et même avant, j’étais amoureux de toi, depuis longtemps, depuis la première fois où je t’ai vue. Je ne voulais pas me le dire parce que je me considérais encore engagé ailleurs, parce que je n’osais pas, et parce que je sentais que tu n’étais pas libre non plus. Mais maintenant, je suis pratiquement sûr que tu es seule, que tu n’as personne, en dehors de ta fille, à aimer vraiment, personne qui t’aime vraiment, que tu n’as que Julia. Sonne, que je connaisse au moins ta voix au téléphone, Patricia. Sonne, putain de merde de téléphone ! Sonne à n’importe quelle heure, je ne dors pas de la nuit. Sonne ! Je suis mal. Comment veux-tu que je te plaise si je vais te voir dans cet état ? Sonne. Je suis bloqué au niveau fric en ce moment. Je ne peux pas me permettre de dépenser cinq cents balles pour te voir. Il va falloir que j’attende des semaines que l’argent rentre. Le temps de créditer mon chèque de fin mai, cela fait vers le 12 juin. Quarante-cinq jours sans te voir. Sept ou huit semaines, c’est l’horreur. Et à condition que tout se passe bien au boulot, que je n’aie pas d’huissier trop pressé. J’ai besoin de te voir, j’ai besoin de ta présence, j’ai besoin de toi, de prendre ta main, de caresser ton visage, de parler avec toi, d’entendre ta voix. Je voudrais poser mon visage sur ta poitrine et te demander si tu m’aimeras enfin un jour. J’ai besoin de t’entendre me parler de ta fille. Tu aurais au moins pu me la donner cette photo où vous êtes toutes les deux. Tu ne vois pas que j’en ai besoin. Tu en as plein d’autres, tu aurais pu me donner juste celle-là, une seule, pour que je puisse la regarder de temps en temps. Je t’ai dit que je ne pourrai pas revenir avant plusieurs semaines. Si j’avais cette photo en ce moment, je me sentirais beaucoup mieux. Tu pourrais penser un peu à moi. Quand je te vois, je suis aux anges ; et puis après, plus rien, même pas une photo pour m’aider à tenir en attendant de te revoir. Je t’aime, je t’aime complètement, tu sais ce que cela veut dire ? Je t’aime sexuellement, sentimentalement, fantasmatiquement, amoureusement, passionnément. Je t’aime dans tout ce qu’un homme peut aimer dans une femme, de la tête au pied, du fantasme le plus grotesque au sentiment le plus doux. Je t’aime de partout, de la tête, de la bite, des mains, du cœur, du ventre, du cul, des cuisses, des jambes, de la poitrine, de partout. J’aime la putain érotique, la maîtresse perverse, la tendre amoureuse, l’esclave soumise, la fille sympa, la compagne charmante, la femme intelligente, la bonne copine, la jeune fille, la femme mûre, la maman, la zonarde, la bcbg, la langoureuse, la distante, l’effrontée, la timide, la fière, la désolée, la faible, la forte. Tout, tout, tout, j’aime tout. Tu es trop. C’est ça, tu es trop et tu es tout, tu es trop tout. Je t’aime comme un fauve à jeun. Je n’aurai jamais assez de toute ma vie pour te dévorer, et tu me fais attendre depuis presque vingt ans ! J’ai faim de toi. Bonsoir. (Michel sort en claquant la porte. Rideau.)
ACTE II, scène 1.
Toc-toc-toc-toc-toc-toc-toc-toc-toc-toc-toc-toc. Toc ! Toc ! Toc !
Jeudi 23/04, 2 h du matin.
(Le rideau se lève toujours sur le même décor.)
Tu en connais beaucoup des filles qui ne craqueraient pas après des plans d’amour pareils ? Eh
bien ! moi, j’en connais une. Et, comme de juste, c’est celle que
j’aime ! Qu’est-ce que j’ai bien pu faire aux déesses de l’amour pour être
maudit à ce point ?
11 h 45 du matin.
(La scène se passe sur un petit nuage.)
— Du calme, mon petit Michel. A quoi tu joues, là ? Tu veux la faire ruer dans les brancards, ta Patricia ? Tu veux tout foutre en l’air ? A peine tu lui écris une petite bafouille pour lui dire que tu la trouves sympa, que tu aimerais bien en faire une amie, à peine tu lui laisses le temps de souffler, de se dire « Tiens, on dirait qu’il se passe quelque chose par ici », que tu veux déjà la voir rappliquer en grande robe de mariée dans la nef centrale de la cathédrale pour lui mettre la bague au doigt. Et encore, c’est tout juste si tu ne l’engueules pas à son arrivée devant l’autel en lui disant « Vous êtes en retard, ma chérie ! » Relax, Max ! Hold on, John ! Keep coooooooooooooooooooooooool, Raoul !
Cette femme ne t’a encore donné aucun droit sur elle. Elle a déjà été très gentille de répondre à ta demande de signe pour pouvoir continuer de lui écrire. Elle t’a dit qu’elle avait lu ta première lettre, elle te l’a dit avec un soin bien particulier et un joli sourire. C’était plus que ce que tu lui demandais comme signe. Toi, tu avais déjà pondu un deuxième forfait amoureux, deux fois plus long que le premier qui faisait déjà son poids, et cela sans même attendre l’autorisation que tu lui avais demandée, on se demande d’ailleurs pourquoi ! Elle a pris ta deuxième lettre avec une gentillesse adorable. De quoi te plains-tu, mon ami ? En plus, tu continues de gribouiller comme un fou sur ton ordinateur alors que tu t’étais engagé à ne plus la harceler de façon effrénée (dixit), et tu te déclares maudit par toutes les divinités amoureuses ! Rien que ça ! Quel ingrat, quelle peine tu nous fais ! On se calme, on se calme. Tu vas laisser les choses se faire, tu vas laisser du temps au temps, tu vas rester zen, tu vas cesser de la secouer comme un prunier à la cueillette, tu vas la laisser respirer un peu, tu vas lui laisser un moment pour y penser, quand même ! Et surtout, tu vas arrêter de l’engueuler et de l’insulter par écrit, parce que ça, c’est rédhibitoire ! Alors tu verras peut-être que tout est en train de très très bien se passer.
— Oui, Monsieur mon bon ange, vous avez entièrement raison. Excusez-moi, je perdais la tête. Vous comprenez, l’amour, c’est spécial. Je ne sais pas comment vous dire. Je voudrais tellement que...
— ON SE CAL-ME.
— Oui.
— Bon, maintenant que tu es calmé, profites-en pour franchir le mur de la sexualité avec l’élue de ton cœur, comme cela elle arrivera peut-être à croire que tu es devenu un grand garçon.
— Tout de suite, Monsieur l’ange, c’est comme si c’était fait.
(La scène se passe dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne.)
Depuis longtemps, notre civilisation se caractérise par un mépris de ce qui se rapporte à la sexualité. L’insulte la plus courante dans notre langue française est « con ». Le « con » désigne à l’origine le sexe de la femme. « Espèce de sexe de femme », « espèce de con », cette insulte est proférée chaque jour un nombre incroyable de fois par toute une francophonie, à l’aise dans ses baskets mais apparemment pas dans ses « cons ». La tendance actuelle est de remplacer « le con » par « l’enculé ». Par une sorte de phase transitoire, on voit donc apparaître l’« espèce de connard d’enculé », le « pauvre con, enculé » ou le « quel con, cet enculé ! ».
L’anglophonie a son « fuck you » (j’te baise ou j’t’encule), ou son « mother fucker » (l’enculé d’sa mère) car il est d’usage d’associer l’ascendance maternelle à ces violences verbales. On ne sait pas si « l’enculé d’sa mère » est censé avoir lui-même enculé sa mère ou s’il s’est fait enculer par elle au doigt ou à l’aide d’un quelconque ustensile. « Ta mère en short à Prisu, enculé, va... », expression récemment si populaire qu’elle est passée d’insulte à signe de bienvenue ou preuve d’affection. « Salut, enculé d’ta mère, comment ça va ? », ici cette expression permet de jouer avec le feu, car l’interpellé peut soit bien le prendre soit répondre : « J’hallucine ? C’est pas vrai ? C’est quoi ça ? T’as vu comment tu m’parles à moi ? Tu t’es entendu comment tu m’parles mal ? Tu m’traites d’enculé d’ta mère. Qui c’est çui-là qui m’dit enculé d’sa mère ? ». La suite du débat devient alors périlleuse. Un doigt pointé vers le haut dans une position de pénétration sexuelle sert à indiquer par geste ce langage pratiquement universel : enculé, j’te baise ou j’t’encule, j’te la mets. L’association de l’autre bras à l’intérieur du coude, ou bras d’honneur, désigne une pénétration profonde qui va jusqu’au coude. Il y a aussi l’« enculé jusqu’à l’os » et l’« enculé à sec » qui se rapportent à des pénétrations brutales et sauvages, particulièrement humiliantes.
L’expression verbale généralisée du mépris pour la pénétration du con de la femme a donc actuellement tendance à se transférer en expression verbale généralisée sur le mépris de la pénétration anale. En même temps, la pratique du coït anal se répandant, l’expression verbale du mépris de la pénétration anale prend de plus en plus un sens affectueux, mais sous-entendu et pas très clair. Cela traduit l’état actuellement confus de cette pratique sexuelle. A ce sujet, on raconte l’histoire suivante :
C’est l’histoire du mari qui supplie tous les soirs sa femme de bien vouloir lui permettre de la prendre par derrière. L’épouse s’y refuse longtemps avant de finir par céder. Une fois la chose faite, le mari se retourne de son côté dans un silence glacé. L’épouse inquiète lui demande pourquoi il n’est pas content alors qu’elle a fait ce qu’il lui avait demandé pour lui faire plaisir ? Et le mari de répondre : Je ne parle pas aux enculés !
A suivre...
LA CHUTE FINALE DE L’EMPIRE ROMAIN
1453, PRISE DE CONSTANTINOPLE PAR LES TURCS
Extrait de Byzance de Sir Galahad (Editions Payot - Paris - 1937) :
Pendant deux ans, le représentant du digne Empire chrétien se promène dans l’Europe chrétienne qui le considère comme un être exotique et prodigieux, implorant des secours contre les Turcs qui, en définitive, menacent tout le continent européen, sans obtenir de résultat. La vieille rancune est trop profondément ancrée. Entre Francs et Grecs, l’aversion est insurmontable depuis leur première rencontre et plus ils s’efforçaient de devenir intimes, plus ils vivaient ensemble, plus cette aversion se manifestait.
Deux races, aussi dissemblables soient-elles, peuvent se supporter lorsqu’elles sont au même niveau, mais pas lorsqu’elles sont à des degrés différents de leurs civilisations respectives. Celle qui n’est pas encore mûre haïra et enviera celle qui a déjà atteint sa maturité et cette dernière méprisera et craindra la première. Cette lutte est semblable à la lutte entre les générations successives, mais transposée en gigantesque. L’Occident était alors au début de son évolution comparé à ces Grecs orientaux qui, ayant atteint le sommet de la leur, connaissaient toutes les profondeurs de la vie et tous ses raffinements.
Même les tentatives de rapprochement entre les deux races faites par des mariages d’amour sont des échecs. Les Occidentales devenues Basilissas donnent l’impression de ne pas être à leur place et les princesses byzantines se sentent étrangères sur les trônes occidentaux. On s’était d’abord donné mille peines pour les avoir, puis leur façon d’agir, correspondant au développement parfait de tous leurs sens, avait paru d’une prétention dénaturée. Ainsi la légende, si elle n’envoie pas Théophano, épouse de l’empereur Othon II, aux enfers, la fait errer dans une sphère grise intermédiaire, punition pour avoir enseigné aux femmes allemandes des raffinements inconnus jusqu’alors. Dieu frappe une autre princesse byzantine, qui avait épousé un doge de Venise, d’une maladie qui répand de mauvaises odeurs, car elle avait l’habitude de baigner son corps orgueilleux dans la rosée des fleurs qu’elle faisait recueillir chaque matin par ses suivantes.
Il résulte de cet état d’esprit qu’on ne portera pas secours à des gens qui, depuis des siècles, ont eu infiniment plus de jouissances que l’Occident ; quels que soient les prétextes inventés, la vérité est que la simple jalousie s’y oppose. Plutôt voir flotter sur Constantinople le croissant des Turcs que l’aigle bicéphales des Paléologues !
On en arrive ainsi à 1453, année où a lieu l’ultime combat. (...) L’assaut est décidé pour la nuit du 29 mai. La population de Byzance n’ignore plus sa destinée... Puis vient la splendeur de la mort : la dernière cérémonie en l’église de la Sainte-Sagesse, dernière messe célébrée dans le plus bel édifice de la chrétienté. (...) Entre une et deux heures de la nuit, Mahomet livre le dernier assaut de trois côtés à la fois... L’empereur qui combat comme simple soldat, est tué. (...) la population se réfugie dans le saint asile de la Hagia-Sophia ; les vainqueurs la poursuivent, tuent tous ceux qu’ils rencontrent. Mahomet II entre et prend possession du palais des Blachernes, résidence des Comnènes. (...) Pendant trois jours et trois nuits, comme il l’avait promis, il livre la ville au pillage de ses troupes.
Moralité : pas de pitié pour les enculés ! Les Byzantins étaient suffisamment évolués sexuellement
pour pratiquer le coït anal et toutes sortes de gâteries avec leurs femmes.
Politiquement, cela n’a pas joué en leur faveur. Deux mille cinq cents ans de
civilisation, bien plus encore si on inclut la parenté avec l’Égypte. Voilà, ma
patricienne, ma noble dame, ma Patricia, ma chevalière d’Empire, mon
aristocrate, le sort que les sauvages réservent aux civilisés, et cela
particulièrement à cause de leurs mœurs sexuelles raffinées. Il faut qu’ils
détruisent ce qu’ils ne peuvent comprendre, d’autant qu’ils se sentent exclus
sexuellement. C’est comme si on les déclarait nuls sexuellement, côté homme, ou
qu’on les répudiait à vie, côté femme. Ces primitifs sont extrêmement
dangereux, et il vaut mieux ne pas mésestimer leur puissance de destruction car
elle est considérable. Les raffinements sexuels provoquent des réactions très
violentes sur la plupart des gens. Il vaut mieux en tenir compte pour éviter un
maximum d’ennuis. Je me souviens de la tête que faisait une amie avec qui
j’avais des relations anales, et qui était allée chez un médecin à cause d’un
petit déchirement de l’anus. C’était au début de nos relations de ce type, elle
ne l’avait fait qu’avec un seul amant avant moi, et comme je devais être plus
largement membré que mon prédécesseur, j’avais forcé un peu la première fois.
Elle m’a raconté que le docteur l’avait regardée comme la dernière des merdes.
A fortiori en ce qui concerne les jeux érotiques sado-masos, il est impératif
d’être dans un lieu clos et parfaitement sûr, où les voisins ne peuvent rien
entendre, parce que s’ils savent, ce sera forcément très emmerdant. On peut
faire du bruit en faisant l’amour, mais là il vaut mieux mettre un disque.
Samedi 25/04.
Je n’en peux plus ! Quel bonheur d’être amoureux de toi, et, en même temps, quel malheur ! Je suis comme une bête en cage. J’ai l’impression de faire n’importe quoi. Heureusement que je peux t’écrire car sinon j’en serais peut-être déjà mort. Je me suis couché très tard ce matin, et, en me réveillant vers 14 h, je vois sur mon portable qu’il y a « Encore 1 message » d’affiché. Je n’ai jamais utilisé cette messagerie. J’ai reçu dernièrement un courrier de mon serveur Itinéris m’informant de la mise en place d’une messagerie. Je fais le code 777 qui était dans le courrier pour accéder à la messagerie. On me demande ensuite un code secret à 4 chiffres. Je ne connais pas. Je me dis que c’est peut-être toi qui m’a appelé pendant que je dormais. Je joins ma copine Victoria et je lui raconte l’affaire en lui disant que je n’ai plus que 4 unités sur ma carte. Elle me rappelle plusieurs fois. Finalement, elle arrive à avoir le code, c’est 0000# ; ensuite j’aurais un code personnel si je suis intéressé par la messagerie. Je fais 777 puis 0000#. On me dit que je n’ai pas de message, plus un baratin pour me brancher sur la messagerie, si je veux faire un message d’annonce à mes correspondants, etc. Je pense que c’était seulement Itinéris qui m’avait lancé ces messages pour que je m’intéresse à leur messagerie. En plus, ils me piquent du pognon en me faisant téléphoner à mes frais sur mon portable. A 5 F la minute, ils doivent se goinfrer en faisant des coups pareils à tous leurs abonnés. Hélas, ce n’était pas mon cœur, mon amour, ma joie, ce n’était pas toi, Patricia ! Appelle-moi, mon amour adoré, appelle-moi pour me dire que tu veux juste avoir de mes nouvelles, que tu vas bien ou que tu vas mal, que Julia a fait des bêtises ou qu’elle est sage comme une image ; appelle-moi pour me dire n’importe quoi mais appelle-moi. Je pense tout le temps à toi. Je fais des montagnes russes entre exaltation et profond désespoir. Je me demande si je vais pouvoir tenir jusqu’à ce que tu m’appelles, ou si je vais m’expatrier sur une île déserte pour oublier tout ça, pour t’oublier. T’oublier, tu te rends compte, si un jour tu me demandes de t’oublier, de te lâcher les baskets ? qu’on s’est bien amusés, que c’était gentil, que j’ai fais un bon délire sentimental, mais qu’il n’y a décidément rien de ton côté. Je préfèrerais crever que d’avoir à vivre ça. Et pourtant, il faudra bien vivre, être libre, etc., comme dit la chanson de Balavoine. Mon amour, je t’en supplie, appelle-moi, mets fin à mes tortures, dis-moi que tu veux bien qu’on se voit, qu’on apprenne à mieux se connaître. Je voudrais dormir, rester couché jusqu’à ce que tu m’appelles, comme la belle au bois dormant. La vie ne m’intéresse pas sans toi. Les autres femmes ne m’intéressent pas. Il n’y a que toi, tu es la seule. Je n’ai jamais été aussi bien qu’avec toi, je n’ai jamais été aussi heureux de ma vie que lorsque je t’ai fait la bise en partant la dernière fois que je t’ai vue. Je t’aime, je t’aime, je t’aime. Et puis merde, je me dis que c’est un mec comme moi qu’il te faut. Je sens qu’il n’y a pas d’homme dans ta vie. Tu es trop bien, trop naturelle, trop intelligente, trop gentille, tu connais trop la vie, tu connais trop les hommes pour qu’on puisse te raconter du baratin, pour qu’on puisse encore te la faire à la connerie générale ambiante. Je ne vois pas qui tu pourrais aimer en dehors de moi. Tu es faite pour moi comme je suis fait pour toi. Tu as besoin de moi comme j’ai besoin de toi. Si ce n’était que pour moi, je crois que je laisserais tomber, mais j’ai le sentiment, la quasi-certitude que je me bats aussi pour toi. I love you, I love you, I love you (c’est pour faire comme si je ne me répétais pas que je le mets en anglais)... ti amo, ti amo, ti amo... ich liebe dich, ich liebe dich, ich liebe dich... Tu n’es pas n’importe qui. Tu n’es pas que belle, tu n’es pas que sensuelle, tu n’es pas que charmante, tu n’es pas qu’adorable, tu n’es pas que sentimentale, tu n’es pas qu’amoureuse, tu n’es pas qu’intelligente, tu n’es pas qu’énergique, tu n’es pas que pleine de vie, de bonheur et d’amour, tu es tout un tas de trucs qui te mettent, qui font que tu es au-dessus de toutes les autres femmes que je connais. Je te désire comme une sœur et comme une épouse. Ma sœur adorée, mon épouse chérie, je sais que tu me comprends comme je te comprends, qu’on se comprend presque tout de suite, qu’on se connaît encore assez mal mais qu’un jour nous n’aurons même pas besoin de parler pour communiquer l’un avec l’autre. Je sais que bientôt j’entendrai parfois tes pensées comme tu entendras les miennes. Tu n’auras même pas besoin de me dire, je saurai déjà. Et toi aussi, tu n’auras qu’à me regarder pour savoir ce que je pense dans ma tête. Je t’aime, je t’aime, je t’aime. Je ne peux pas me passer de toi, et je ne veux pas me passer de toi. Je sens une telle fusion, une telle communion entre toi et moi que cela en est incroyable. Tu es l’autre moitié de moi-même comme j’ai l’impression d’être ton autre moitié. Je t’aime, je t’aime, je t’aime. Je suis fier de t’aimer, fier de t’avoir trouvée, fier d’avoir ouvert les yeux. Appelle-moi ! ! ! Vite, maintenant, tout de suite, s’il te plaît.
Pour ta fille Julia, sache que cela ne me dérange pas, bien au contraire ! Si tu pouvais en avoir déjà trois ou quatre, cela serait encore mieux pour moi. Je vais bientôt avoir quarante-six ans, et je n’ai aucun enfant. Rien pour me perpétuer, rien qui fasse que je ne disparaisse pas un jour dans le néant. Je n’ai élevé aucun enfant, je n’ai veillé sur aucun de ces bouts de chou, je n’ai donné aucun conseil, aucune éducation, je n’ai aidé personne à grandir, je ne laisse rien derrière moi que le vide. Je suis la honte de mes ancêtres, le dernier de ma race, leur anéantissement. Je n’ai rien transmis de la vie que j’ai reçue. J’ai pris et je n’ai rien donné. Alors, tout ce qui peut m’aider à sortir un peu de là est plus que bienvenu, surtout ta Julia. Voit-elle son père naturel de temps en temps ? Ça serait quand même bien pour elle si sa maman avait un homme stable dans sa vie, un type sympa, gentil, qui aimerait beaucoup beaucoup sa maman et qui pourrait faire comme un papa. Je ne sais pas, moi, quelqu’un qui me ressemblerait un peu, par exemple. Je ne dis pas obligatoirement moi, c’est juste un exemple, mais un type dans mon genre ferait très bien l’affaire. Tant qu’à faire, si tu n’as vraiment personne qui corresponde sous la main, je veux bien me dévouer pour te rendre service ! Je veux même bien la reconnaître et qu’elle puisse porter mon nom, si vous le voulez toutes les deux. J’ai bien dis uniquement si vous le voulez. Entre nous, Patricia, même si je ne venais qu’épisodiquement, on a bien dû faire au moins une fois l’amour vers cette époque, même si on faisait souvent d’autres jeux que baiser, on baisait quand même aussi de temps en temps. Mettons qu’il y ait eu un tout petit trou, ce jour-là, dans ce préservatif-là, ça pourrait être ma fille. Je n’en mettrais pas ma main à couper et je ne passerais pas les tests de paternité pour confirmation, mais on peut toujours se la jouer comme ça. Si cette version te satisfaisait, elle me conviendrait parfaitement. En plus, si je reconnaissais Julia, tu pourrais me faire payer une pension alimentaire après m’avoir jeté dehors !
Est-ce que Julia a commencé la danse, la musique ? Il faut leur faire commencer le plus jeune possible, et surtout persévérer pendant des années et des années. C’est bien qu’une fille fasse de la danse (un garçon aussi, d’ailleurs, mais c’est plus à la mode pour les filles), cela lui donne une grâce, une légèreté, une aisance dans son corps qu’elle gardera toute sa vie. En plus, elle voit d’autres petites filles, elle devient plus à l’aise avec les autres. Pour la musique, il faut commencer très tôt et ne pas arrêter avant la fin de l’adolescence. Je n’ai pas suivi de cours réguliers de piano, une fois de temps en temps pendant quelques mois, c’était n’importe quoi. Mes parents nous faisaient tout faire, puis tout arrêter, et à nouveau faire autre chose. Ils nous foutaient en l’air à changer tout le temps. Mon père a vraiment été une ordure de la pire espèce pour ça. Il s’amusait avec ses gosses, et changeait de jeu quand l’envie lui prenait. Pour peu que les exercices de piano se mettent à le fatiguer, allez hop, plus de piano ! Tiens, vous allez faire de l’harmonica ! N’importe quoi ! Pour le sport c’était pareil, nous étions toujours spéciaux grâce à notre connard de père. Je n’ai pas pu jouer au football à cause de lui, il voulait que je fasse de l’athlétisme. C’est ça, sale merde, que je reste tout seul avec mon gentil papa ! Un enfant a d’abord besoin de se sentir comme les autres gosses, pas le mouton noir à l’écart, mal à l’aise, et dont on rigole en douce ou même pas en douce. Il ne faut pas trop prendre la tête aux mômes à vouloir en faire des petits génies, il faut d’abord qu’ils soient heureux. Le bonheur, c’est tout de suite. L’enfant heureux a plus de chance de faire un adulte heureux, et le bonheur est finalement le premier droit de l’enfance. Mais il faut aussi leur donner l’impression de ne pas perdre leur temps et d’apprendre quelque chose.
Si on n’a pas fait de la musique suffisamment jeune, après on va galérer. C’est une culture dans laquelle il faut entrer dès l’enfance, comme on apprend à lire. Les Français sont un peu nuls en musique. En Angleterre, presque tous les gosses suivent des cours de piano. Pas étonnant qu’ils nous sortent des Beatles, Rolling Stones, etc. Julia a déjà quatre ans, ça serait bien qu’elle soit dirigée plutôt top que sous-culture. Quand elle sera plus capable d’exprimer ses goûts et préférences, elle pourra mieux décider de ce qu’elle veut faire, mais, au départ, il appartient aux parents de la pousser et d’assurer pour elle. Il faut que les enfants fassent mieux que nous, qu’ils aient plus de chance grâce à notre expérience, sinon à quoi serviraient les parents. Il faut ensuite qu’ils apprennent à faire la même chose pour leurs enfants, mais on n’en est pas encore là.
A propos de Julia, je me suis dis hier que tu étais peut-être revenue travailler pour assurer ton avenir et celui de ta fille. Tu veux peut-être lui offrir un peu mieux qu’une mère célibataire au chômage, ou avec un salaire ridicule. A ta place, c’est ce que j’aurais fait. Je serais revenue quelques années pour faire des économies au lieu de tout claquer comme avant, et avoir de quoi acheter une petite affaire genre café-restaurant, par exemple. Si c’est ça, il te faut combien de temps pour réaliser ton opération financière ? Y’a moyen d’abréger un peu si tu as un mec qui t’aide avec toi, un mec qui assure un salaire fixe, genre 12 500 F mensuel, par exemple, pour te permettre un démarrage confortable ? Je dis ça comme ça, c’est juste une idée qui m’a traversé l’esprit. Je repensais à quand tu me disais, il y a quelques mois, « Je me demandais si cela allait rapporter autant qu’avant ». C’est sûrement que tu dois avoir une idée derrière la tête. Il faudra qu’on en parle. Je t’aime, je t’aime, je t’aime. Ce ne sont pas tes sous éventuels qui m’intéressent, crois-le bien, et j’espère qu’un jour je t’intéresserai pour autre chose que mes petites offrandes. Je t’aime, je t’aime, je t’aime.
Au fait, j’y repense, j’ai mon studio, mon contrat de travail et un salaire fixe honorable. Il y a eu
d’importants changements dans la loi concernant le proxénétisme. Dans mon cas,
je ne peux pas être inculpé pour ça. Cela ne marche plus. Les prostituées ont
acquis le droit de vivre avec quelqu’un, ce n’est plus comme avant.
Renseigne-toi si tu n’es pas au courant. Tu pourrais penser que cela pourrait
être dangereux pour moi, cela ne l’est plus. Pour se marier, je crois qu’il
vaudrait quand même mieux que tu arrêtes. J’aimerais t’avoir toute à moi et
être sûr que plus personne d’autre ne te touche, ni homme, ni femme, ni rien,
même pas te regarder à part le docteur. Réservée, défense de toucher, défense
de voir, défense de tripoter dans les coins, défense de faire du baratin.
Surtout les baratineurs, les pseudo artistes, les pseudo écrivains, les pseudo
baratineurs, méfie-toi d’eux ! Non, sans déconner, je suis plutôt jaloux.
Pas de ce que tu fais en ce moment ; mais après, rien que toi et moi. Je
ne suis pas du genre échangiste. Je n’échange rien du tout, même contre deux
barils d’Ariel. Rien ! Échange femme de 40 ans contre deux de vingt. Rien
du tout, je n’échange rien.
Dimanche 26/04, 2 h 30 du matin.
J’ai absolument besoin de te voir. J’ai vendu un vieux Tam-tam dont je ne me servais plus à 300 F. Je ne comptais pas te voir cette semaine, mais je ne peux plus rester sans te voir. Je n’aime pas trop cette nuit où tu dois être crevée mais je commence à travailler lundi matin à 8 h 30 - 9 h. Si je passe dans la nuit de dimanche à lundi, c’est moi qui vais être crevé pour mon premier jour de boulot. J’ai passé la soirée chez une dame qui travaille à la mairie de Villeneuve, elle doit me rappeler pour un appartement. Mes 14 m², je les paye 2 400 F actuellement. Elle a un F3 pour 1 800 F. Il y a de bonnes chances que cela marche avec la photocopie de mon contrat d’emploi à durée indéterminée. Tu aimes le quartier de Villeneuve ? Tu prendrais un grand appartement avec moi ? Qu’est-ce que tu aimes comme quartier ?
Je vais prendre une douche et me faire beau. J’ai laissé mon costume chez le teinturier. Je l’ai oublié, tant pis, je vais mettre autre chose. Ici je n’ai pas beaucoup d’affaires. Il faut que je récupère tout ce que j’ai laissé dans les caves de mes anciens voisins, piano, fringues, vaisselle, meubles, etc.. Je n’avais pas terminé ma lettre, j’ai mis « A suivre » là où je me suis arrêté. La suite sera pour une prochaine fois. Je t’aime, je t’aime, je t’aime. Je pense à toi tous les jours. Téléphone-moi, mon amour. Téléphone-moi parce que sinon je vais vraiment être malheureux, je vais vraiment en crever toute cette semaine si loin de toi, sans nouvelle de toi, au désespoir. J’aurai mon portable au bureau et partout avec moi. Téléphone-moi-a-a, / Appelle-moi et dis-moi / Que tu m’..... / Que tu m’..-..-..-..-..-..-..-... / Que tu m’..-...
Je te remercie d’avoir pris la peine de me lire. Je vous embrasse très fort toutes les deux, toi et Julia.
Michel. |
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